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escaliers, sur les listels des murs, de longs dragons à cinq griffes se tordaient, grimaçaient avec un mélange singulier de rudesse barbare et de souplesse asiatique.

L’herbe poussait entre les pavemens des cours, tandis que des violettes, des balsamines, des pariétaires, des gentianes s’épanouissaient çà et là, autour d’une fontaine, au long d’un mur. Dans le fond, au dernier plan, la colline s’élevait par des pentes rapides, et les cèdres qui s’y dressaient jusqu’au sommet étalaient, à cette heure matinale, des ombres démesurées, mais diaphanes et presque vaporeuses, sur la végétation légère qui croissait à leur pied. Des brises tièdes montaient, avec des senteurs confuses faites d’émanations terrestres et d’odeurs printanières, avec je ne sais quel parfum lointain d’un grand passé historique.

La dynastie des Ming, qui, au XVe siècle, avait fait choix de cette vallée pour y édifier ses sépultures, fut une des plus brillantes qui ait marqué dans l’histoire de la Chine. Elle eut l’instinct de la puissance, le prestige au dehors, l’autorité à l’intérieur, la faveur des lettrés et des philosophes, et elle compta parmi ses empereurs des souverains de grande âme et de grande volonté. Mais ce fut surtout dans le domaine de l’art qu’elle réalisa ses plus glorieuses créations : il lui était échu l’heureuse fortune d’arriver au pouvoir à une époque de renaissance artistique, et, comme elle avait le goût des belles choses et l’intelligence des idées élevées, elle sut favoriser cet épanouissement du génie chinois. Alors avaient apparu des œuvres d’une pureté de galbe, d’une harmonie de couleurs, d’une délicatesse de sentiment qu’on n’avait pas connues encore. À côté des anciennes formules hiératiques, il y avait désormais une liberté d’inspiration, une variété infinie de types. Sur la patine des bronzes, le poli onctueux des jades, l’éclat des porcelaines et le velouté des soies peintes, un monde fantastique de dragons aux replis tortueux et aux fines écailles, de chimères terrifiantes, de phénix éployés, arrivait à la vie et s’animait d’un souffle frémissant ; ou bien une flore aux formes délicieuses, aux nuances harmonieuses s’épanouissait, et la sève végétale circulait dans la pulpe des feuilles, dans les fibres des tiges, dans les lobes entr’ouverts des lotus ; ou bien encore des personnages divins, des vierges gracieuses, entourés de symboles bouddhiques, poursuivaient, avec un charme étrange de mélancolie, le songe éternel de leurs rêveries mystiques.

Et dans cette grande dynastie, l’empereur Young-Loh, dont le sarcophage était là à quelques pas de moi, avait eu sa part de gloire, son œuvre durable et féconde.

Du haut de la colline qui dominait son tombeau, toute la vallée