Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en leur donnant l’âme du geste, du regard et de la voix, et qui achève ainsi Corneille et Voltaire. » Molé, Préville, Monvel, Grandmesnil, furent membres titulaires de la section des beaux-arts; Larive, membre correspondant. Sous le consulat. Molé, protégeant un solliciteur, écrivait à Chaptal : « Si vous ne pouvez, mon cher collègue, faire pour lui ce que je vous demande, veuillez le recommander à notre collègue le premier consul. » On ne s’était pas vu à pareille fête depuis le règne de Néron, sous lequel l’histrion Paris fut mis au rang des dieux. Mais ce dieu-ci, le premier consul, est un voisin peu tolérant auquel on aurait tort de se fier : mauvais collègue!.. C’est par sa faute que MM. Got, Delaunay, Worms, Coquelia, Mounet-Sully ne seront pas membres de l’institut ; qu’ils se consolent par cette réflexion que, pour lui recommander leurs protégés, il leur manquerait un Bonaparte !

« Il faut souffrir pour être beau, » disent les bonnes d’enfans, lorsqu’elles tirent les cheveux en pinçant la papillote : la liberté, cette rude nourrice, apprit aux acteurs qu’il fallait souffrir pour briller de la beauté morale du citoyen. « Mourir pour la patrie, » mourir par elle, même sur l’échafaud, est encore assez illustre; mourir de faim est plus modeste, et c’est d’abord ce que les comédiens eurent à redouter, lorsque la liberté des théâtres, en produisant de nouveaux établissemens, appauvrit les anciens. « Sur 100,000 écus de loges à l’année, » dont la Comédie-Française était assurée avant la Révolution, M. Maugras a vérifié « qu’elle en conservait à peine un tiers en 1790.» Mais d’autres commerces, dans ces années-là, n’allaient peut-être pas mieux, d’autres arts devaient se contenter de petits bénéfices : j’imagine que la sculpture, en 1793, nourrit assez mal son homme. Négligeons les livres de caisse, et ne nous occupons que du régime des personnes. En 1789, les gentilshommes de la chambre ne gardent sans conteste que le droit de signer des billets : M. de Richelieu, pour ce qui touche aux théâtres, n’est plus qu’un secrétaire non salarié; Bailly, maire de Paris, lui succède comme souverain de la Comédie-Française. La transmission des pouvoirs ne se fait pas sans quelque embarras; incertains entre les deux autorités, les comédiens vont s’expliquer avec Bailly : « j’aime et je protège les talens, répond-il, tout aussi bien qu’un gentilhomme de la chambre. » — Quelqu’un a-t-il souvenir, pendant cette visite, des suprêmes démarches faites par Voltaire, en 1778, pour la gloire et l’intérêt de ses bons amis? Il voulait leur enlever, au moins sur l’annonce du spectacle, ce titre servile de « Comédiens du Roi. » Il écrivait à Molé : « Un mourant, qui aime passionnément sa patrie, vous consulte pour savoir s’il ne conviendrait pas démettre sur les affiches : Le Théâtre-Français donnera tel jour, etc..» Il s’adressait ensuite, pour obtenir cette allégeance, à M. Amelot,