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publique le temps d’envenimer cette douloureuse affaire. Le gouvernement français, pour sa part, a fait ce qu’il devait ; il l’a fait simplement, dignement, avec autant de mesure que de fermeté. Pour la seconde fois en quelques mois, M. le ministre des affaires étrangères a su, par son tact, sauvegarder l’honneur et les droits de la France. Le gouvernement allemand, à son tour, il faut en convenir sans embarras, a dédaigné les subterfuges et paraît même avoir évité toute controverse. Il n’a point hésité, dès les premiers jours, à désavouer la brutalité meurtrière de son subordonné ; il a offert une indemnité pour la veuve du malheureux piqueur tué à Vexaincourt, et il a fait témoigner ses regrets au jeune blessé, M. de Wangen, qui n’aurait pas accepté un dédommagement. Le reste est l’affaire des juges, devant qui doit, dit-on, comparaître le soldat, brutal et aveugle auteur d’un meurtre fait pour révolter les nations civilisées.

Cette malheureuse affaire de Vexaincourt, qui est venue si inopinément raviver une vieille blessure, peut donc être considérée comme terminée pour le moment, et terminée de la manière la plus convenable pour les deux nations, pour les deux gouvernemens. Il est cependant trop clair que des incidens comme celui qui vient de se passer dans les Vosges, comme celui qui se passait il y a quelques mois sur la Moselle, sont le signe saisissant d’une étrange tension sur la frontière, et qu’ils pourraient, en se renouvelant, conduire par le plus court chemin à de redoutables complications. D’aucun côté on ne paraît disposé aujourd’hui à aller au-devant de ces complications ; on s’étudie au contraire à les détourner, à en décliner la responsabilité, ne fût-ce que par égard pour l’opinion universelle, si manifestement favorable à la paix. Ce qu’il y aurait alors de mieux, de plus prévoyant, et c’est la plus évidente moralité des dernières affaires, ce serait de concerter autant que possible des moyens, des règles qui rendraient la vie à demi tolérable sur la frontière, qui préviendraient peut-être les accidens par trop violens. Ce serait pour les gouvernemens la meilleure manière de n’être pas perpétuellement exposés à être surpris ou entraînés au-delà de ce qu’ils voudraient. On ne changera pas sans doute le fond des choses, on ne supprimera pas les froissemens, les incidens sur cette frontière déplacée violemment par la guerre ; on pourra du moins peut-être atténuer en partie cette tension de rapports qui est une des faiblesses de la situation laborieuse où se débat l’Europe, où ceux qui se flattent d’avoir la puissance, qui l’ont certainement sous bien des rapports, croient suppléer à tout, faire face à tous les dangers avec des combinaisons toujours changeantes.

Telle est, en effet, cette situation européenne que la fatalité des choses a créée, qui n’a certes rien de rassurant, où l’on sent que tout est possible. Elle est faible, parce que toutes les conditions naturelles ou traditionnelles d’équilibre sont visiblement altérées et faussées.