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à tant de forces réunies le feu de sa seule frégate : il nous remit, avec l’Iphigénie, le fort de la Passe. Le pavillon anglais n’y avait flotté que pendant quatorze jours. N’étions-nous pas en droit de nous écrier, comme Nelson après Aboukir : « Ce n’est pas une victoire, c’est une conquête ? » Jamais triomphe ne fut plus complet. Nous l’avions, il est vrai, payé cher. Les deux frégates et le Ceylan comptaient 150 marins et plusieurs officiers hors de combat.

Les Anglais ne nous ont pas souvent donné de ces joies-là. Ce n’était pourtant pas la dernière que nous réservaient les mers de l’Inde.


II

Dès les premiers jours de septembre, l’Iphigénie, seul navire qui fût sorti intact du combat du Grand-Port, était armée avec un équipage d’élite et confiée au capitaine de vaisseau Bouvet. Le capitaine-général Decaën venait, en vertu des pouvoirs qu’il tenait de l’empereur, de conférer provisoirement ce grade à l’ancien commandant de la Minerve. Le 12 septembre, l’Iphigénie et l’Astrée, commandée par le capitaine Lemarant, se présentaient devant l’île Bourbon. Quatre voiles, sortant, l’une de Saint-Denis, les trois autres de Saint-Paul, se réunissent et mettent le cap sur la division française. Quatre voiles ! D’où peuvent-elles provenir ? Bouvet ne connaît plus dans les mers de l’Inde qu’une frégate anglaise, la frégate du commodore Rowley, la Boadicée, Rowley aurait-il reçu des renforts de Bombay, du Bengale ou d’Europe ? Il est au moins prudent de s’assurer le loisir de conférer avec le commandant de l’Astrée. Les deux frégates françaises virent de bord et font route au large. Les quatre voiles ennemies leur appuient vigoureusement la chasse.

Bouvet ne pouvait prévoir que cette force navale, si supérieure en nombre, se diviserait : la fortune, en cette occasion, le servit encore mieux que sa prudence. Un esprit de vertige, une ardeur irréfléchie, entraînaient alors les vainqueurs de Trafalgar : une seule leçon ne suffisait pas pour les refroidir. Au milieu de la nuit, l’Astrée et l’Iphigénie sont atteintes par un des bâtimens acharnés à leur poursuite. L’Astrée essuie la première le feu ; elle riposte. Son grand hunier est partagé en deux lambeaux par un boulet. Le navire anglais, sur son élan, passe outre. Il se trouve bientôt sous la volée de l’Iphigénie. Le combat s’engage, d’un commun accord, vergue à vergue. En moins d’une heure, l’Anglais se trouve réduit à baisser pavillon : Bouvet vient de capturer la frégate l’Africaine.