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III

On ne juge bien un officier que le jour où cet officier est appelé à subir l’épreuve du commandement. Plus d’un, qui n’attira jamais l’attention de ses chefs, s’est révélé soudain homme de guerre accompli, quand la responsabilité est venue mettre en relief ses qualités latentes. Il en est même qui n’ont pris tout leur essor que dans le grade d’officier-général. Une belle voix, une majestueuse prestance ont fait plus d’une fois sur le banc de quart illusion. Le talent de manœuvrier lui-même n’est pas, pour briller au premier rang, une garantie suffisante. La marine anglaise a possédé de meilleurs manœuvriers que Nelson. Bouvet, en rade de Brest, lorsqu’il y commandait le vaisseau le Gaulois, manquait presque constamment son corps-mort : il ne manœuvrait bien qu’en présence de l’ennemi. Ce n’est donc ni le coup d’œil, ni la science, ni l’esprit, ni l’adresse, ni la force physique qui distinguent les hommes : c’est le caractère. Heureux ceux qui, comme l’amiral Hotham en Angleterre, comme l’amiral Roussin et l’amiral Baudin en France, ont su tout réunir : le port imposant, le geste altier, l’organe dominateur et le don beaucoup plus rare de commander aux événemens ! Nelson, Bruix, Lalande, avec un corps chétif, ont possédé, à un très haut degré, cette qualité suprême qui comprend toutes les autres : le sang-froid dans l’audace. Je me suis toujours senti, je le confesse, un secret penchant pour les héros gais et familiers : c’est un tort que je partage avec la race gauloise d’où je sors. Je ne méconnais pas cependant l’avantage d’une attitude qui inspire à première vue le respect : je me méfie seulement de ces gens qu’on appelle « sérieux, » parce qu’ils ne rient jamais.

Le lieutenant de vaisseau Roussin, capitaine de frégate à titre provisoire, n’avait pas encore eu, en 1810, l’occasion de donner toute sa mesure. On pouvait, à la rigueur, le confondre avec une foule de vaillans officiers, l’orgueil et l’espoir d’une marine renaissante. « Je certifie, écrivait le capitaine Bouvet, que M. Albin Roussin était premier lieutenant sur la frégate la Minerve que je commandais, en 1810, dans les mers de l’Inde, jusqu’à la fin de la campagne de cette frégate, qui fut honorée par trois combats. Pendant le dernier (affaire du Port-Impérial), M. Roussin eut le commandement de la Minerve, le lui ayant confié pour passer sur la frégate la Bellone, après la blessure du commandant de la division. Dans cette circonstance et toutes celles qui l’avaient précédée, M. Roussin justifia ma confiance par ses talens, son courage et son activité. Je certifie, en outre, que Sa Majesté n’a pas d’officier plus dévoué et