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la Minerva, partie de Surinam avec un chargement de café, de sucre, de coton, chargement estimé à près de 1 million de francs, est capturé par la Gloire. En 1812, on vivait en plein blocus continental. La consigne était implacable. Le chargement de la Minerva, s’il eût pu atteindre un port français, y aurait probablement été confisqué ou brûlé. Nos frégates prenaient la mer avec l’ordre « de faire le plus de mal possible au commerce anglais : » il n’était pas question de parts de prise. Le capitaine Roussin fit passer à son bord l’équipage de la Minerva et coula le trois-mâts sur place.

Le 26 décembre, Roussin quittait sa croisière du banc des Soles et se dirigeait vers les côtes de Portugal. Il y arriva dans la nuit du 28. Des avaries dans les ciels de ses deux mâts de hune le contraignirent presque aussitôt à reprendre le large. Il est vraiment curieux d’observer à quel point la routine est tenace. Les navires, jusqu’au XVIIe siècle, naviguaient généralement, quand la brise était fraîche, sous leurs basses voiles : les huniers, voiles légères, ne se portaient que de beau temps. Peu à peu, on en fit les voiles de combat, la véritable âme du navire. Croirait-on que, malgré le nouveau rôle qu’on leur attribuait, les mâts de hune restèrent presque aussi mal appuyés que par le passé ? La rentrée des œuvres-mortes était alors excessive : les haubans, les galhaubans descendaient du capelage vers la hune et vers les porte-haubans, sous un angle si aigu qu’ils n’offraient qu’un soutien tout à fait insuffisant à des espars dressés au haut des bas-mâts comme des cierges. Si du moins on les eût enfoncés profondément dans la bobèche ! Loin de là : ces cierges vacillans ne recevaient aucun secours du candélabre. En d’autres termes, car, lorsqu’on parle marine, il faut bien se résoudre à employer les mots techniques, — le ton des bas-mâts ne doublait que d’une quantité beaucoup trop faible le pied des mâts de hune. Lisez les relations des combats « rendus, » — le mot indique l’époque, — pendant les dernières années du règne de Louis XVI, sous la république, sous le premier empire, vous y verrez constamment des vaisseaux français obligés de diminuer de voiles, quand les vaisseaux anglais continuent de porter les hunier ? hauts. Que de belles occasions cette infériorité nous a fait perdre ! Marins de 1840 qui survivez encore à tant de camarades disparus, vous rappelez-vous les tons de la Belle-Poule ? Voilà du moins une frégate qui pouvait en toute sécurité faire de la toile. Nous n’étions pas princes, nous autres ! Quels assauts opiniâtres il nous a fallu livrer aux ingénieurs, nos « billets de demande » à la main, pour obtenir l’objet de notre ardente ambition : des tons semblables à ceux de la Belle-Poule ! Le règlement ! on nous opposait toujours le règlement. Et pourtant le règlement était absurde.

Pendant que le capitaine Roussin s’évertuait à consolider de son