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Il aurait fallu leur en faire bien davantage encore pour les détacher de la formidable coalition en marche, à cette heure néfaste, sur la France.

Les États-Unis venaient de trouver un meilleur moyen d’inspirer à l’Angleterre le désir d’une prompte paix : ils s’étaient rendus redoutables à cette marine de guerre qui, depuis près de vingt ans, ne connaissait plus que l’offensive. Était-il donc si impossible que des esprits découragés le déclaraient, de suivre l’exemple qui nous était donné par la jeune nation dont le malheureux Louis XVI paya de la perte de son trône et de sa vie l’indépendance ? Demandons-le plutôt aux Anglais. Quand les Anglais apprirent, le 31 mars 1813, le combat soutenu le 7 février devant Sierra-Leone par la frégate de sa majesté britannique l’Amelia contre la frégate française l’Aréthuse ; quand ils surent que le capitaine Irby, — un des adversaires de mon père aux Sables-d’Olonne, — assailli vergue à vergue par le capitaine Bouvet, avait, dans l’espace de trois heures et demie, perdu 141 hommes, tant tués que blessés, y compris le capitaine et tous les officiers, il n’y eut qu’un cri pour reconnaître que les temps avaient changé. « Malgré l’admiration que nous devons avoir pour nos braves, s’écriait le Times, organe, en cette occasion, de l’opinion générale, nous ne les voyons pas sans peine exposés à des combats aussi obstinés et aussi destructifs. Depuis longtemps nous n’avions vu, de la part des Français, une telle persévérance et de pareils efforts. »

Voilà les traces glorieuses que les meilleurs élèves du capitaine Bouvet, les Baudin[1], les Roussin, s’apprêtaient à suivre. La chute imminente de l’empire ne leur en laissa pas le temps. Dans le désarroi général, le ministre n’avait guère le loisir de combiner de nouvelles campagnes. Il sentait déjà le sol trembler sous lui, le trône chanceler, la fortune de nos armes irrémédiablement atteinte. La Gloire fut attachée à l’escadre de Brest. Au bout de quelques mois, tout croulait. La paix était signée le 24 mai 1814 ; le passé reprenait possession de la France. Pour beaucoup d’officiers, ce changement de régime fut un désastre.

La Restauration cependant n’entendait accepter l’humiliation de la défaite que pour celui qu’elle s’obstinait à nommer « l’Usurpateur ; » elle la répudiait noblement, courageusement, pour la France Le roi Louis XVIII prétendit toujours, quoi qu’on en ait pu dire, rentrer en frère aîné dans la famille des rois : il eut, en plus d’une occasion, de beaux mouvemens d’orgueil vis-à-vis de ses prétendus

  1. Voyez dans la Revue du 1er février 1886, p. 624, le combat de la Dryade devant Toulon.