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Au courant de la même année, des désordres éclatèrent dans plusieurs centres industriels où la question sociale n’avait plus été soulevée depuis la guerre des paysans. En Silésie notamment, où vivaient, ou plutôt ne pouvaient vivre avec un salaire insuffisant des milliers de tisserands, gagnant là gros par semaine, soit 35 sous pour l’entretien d’une famille entière pendant sept jours, on vit démolir des toitures et brûler les inscriptions des dettes. Ces excès dans les fabriques firent appeler la force armée, qui tira sur les insurgés. Quelques-uns tombèrent sous les balles ; les autres, traduits devant les tribunaux, furent condamnés à recevoir vingt-quatre coups de bâton chacun. Les troubles se communiquèrent aux villes manufacturières des bords du Rhin. À ce moment, Wilhelm Jordan, un poète estimé, invita « les quarante millions d’Allemands à prendre souci de leur bonheur terrestre plus que de leur félicité problématique dans un autre monde. Avant tout, la société a le devoir de veiller au bien-être des prolétaires, ces bêtes de somme de la société, qui vêtissent, nourrissent et font subsister doucement les riches, au prix d’une misérable pitance pour calmer leur faim. » Tandis que Jordan glorifiait l’athéisme, la république et la révolution sociale dans son Schaum, Freiligrath fit paraître son Ça ira allemand, et Karl Beck les Lieder vom armen Mann (chants des gueux), non moins excitans. Toutes les branches de la littérature étaient exploitées pour la propagation des idées communistes, qui, dès lors, se répandirent à travers le pays comme une épidémie, entretenue par des Komnmnisten-Verbände clandestins et favorisée par la disette, après les mauvaises récoltes de 1846 et de 1847.

Depuis plusieurs années, Berlin était devenu le siège d’une association socialiste plus ou moins secrète. Sous ses auspices se réunit, dans cette capitale, la première assemblée ouvrière, à la date du 6 avril 1848. L’assemblée constata l’impossibilité d’améliorer le sort des travailleurs sous le régime de la libre concurrence ou du libre-échange dans son entière acception. Bien que la grande masse des ouvriers berlinois eût encore une médiocre confiance dans l’efficacité des théories collectivistes, ils envoyèrent un député, choisi dans leurs rangs, à la chambre prussienne et au parlement national de Francfort. Pendant la session du parlement de Francfort se réunit dans la même ville, le 15 juillet, un congrès des compagnons ouvriers, le Gesellencongress, lequel soumit à l’assemblée nationale, le 3 août suivant, une adresse réclamant le suffrage universel, l’instruction primaire obligatoire, la création d’écoles spéciales d’arts et métiers, un impôt progressif sur le revenu, un système des poids et mesures commun pour toute