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LA VIE DE CHARLES DARWIN.

peuvent expliquer la répartition d’espèces identiques ou voisines en des régions distantes, séparées par la mer, sujet à la fois de géologie, de zoologie et de botanique, dans lequel Darwin se complaît à l’extrême ; ailleurs, il s’agit de l’explication à fournir de la diminution ou de l’extinction des espèces, etc. Toutes ces lettres, particulièrement intéressantes par la façon dont l’on voit Darwin successivement soulever les difficultés, les discuter, les expliquer, suggérer des études nouvelles, des points de vue jusque-là négligés, le naturaliste les lira avec le plus grand profit. Signalons aussi celles où il parle de ses expériences sur la résistance des œufs à l’action de l’eau salée, sur la lutte des plantes entre elles, sur le transport des graines et des œufs.

Cela dure ainsi de 1844 à 1856. En 1856, Lyell, témoin éclairé et judicieux de ses efforts, lui conseille de reprendre son esquisse de 1844, de la développer dans un grand ouvrage, avec le secours des faits nouveaux dont il dispose. Darwin, après quelques hésitations, se décide à suivre ce conseil. Ce travail devait être fort étendu : réunissant les notes de Darwin, le résultat de ses expériences et observations, des citations empruntées à une foule de travaux, l’ouvrage devait former quatre volumes de la dimension de celui que nous connaissons sous le titre d’Origine des Espèces, et devait renfermer tous les faits connus pour et contre la mutabilité des formes animales. L’œuvre est commencée en mai 1856, et poursuivie jusqu’en 1858, sans autres interruptions que celles que nécessite la santé de Darwin. Au début, il croit pouvoir faire bref, mais il s’aperçoit bientôt qu’il lui faudra donner de grands développemens pour soumettre au lecteur l’état complet de la question. Le travail avance lentement : il y a des contretemps, parfois des erreurs qui désolent Darwin, l’obligeant à reprendre les questions qu’il croyait résolues. « Je suis, écrit-il, le chien le plus misérable, le plus embourbé, le plus stupide de toute la Grande-Bretagne, et je suis prêt de pleurer d’ennui sur mon aveuglement et ma présomption. Il y a de quoi me faire déchirer mon manuscrit et tout planter là en désespoir de cause. »

En revanche, aussi, il a des jouissances profondes, tant son travail l’intéresse, une fois les obstacles surmontés. Mais, en 1858, un incident se produit qui change ses plans. Wallace, alors dans l’archipel Malais, lui adresse un mémoire manuscrit Sur la tendance des variétés à s’écarter indéfiniment du type originel. Ce mémoire, — publié depuis, — contient presque toute la théorie de Darwin, moins les exemples et les applications. L’ayant lu, comme Wallace l’en prie, il écrit aussitôt à Lyell (18 juin 1858) :


Je n’ai jamais vu de coïncidence plus frappante ; si Wallace avait