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sujets ordinaires ou favoris de M. Dumas, mais à ses « erreurs juridiques » seulement, et il essaie de nous prouver qu’elles seraient en effet de la dernière conséquence. C’est à cette science ou demi-science, puisée a dans la lecture superficielle d’un Code bon garçon, » qu’il fait ou qu’il voudrait bien avoir l’air de faire uniquement le procès. Et il n*e reproche pas enfin le « manque de titres » à M. Dumas, mais le « manque de connaissances, » et cette présomption commune que, puisque nul en France n’est censé ignorer la loi, c’est exactement comme si tout le monde la connaissait. Mais, au fond et en réalité, sous toutes ces précautions, et au travers de tous ces déguisemens, c’est à M. Dumas lui-même, c’est au théâtre contemporain qu’il s’en prend, c’est à leur prétention de traiter au grand jour des sujets qui ne se traiteraient convenablement et utilement, d’après lui, que dans les cabinets des jurisconsultes ou dans les amphithéâtres des professeurs de droit. « Nos auteurs dramatiques semblent s’être proposé un but plus pratique, donné une mission plus sociale que l’analyse des caractères et la peinture des passions, qui, jusqu’à nos jours, avaient fait à peu près tous les frais du théâtre. » Voilà le vrai point du débat, et j’ajoute : voilà le véritable intérêt du livre de M. Félix Moreau. C’est la question de la thèse au théâtre, ou plus généralement dans l’art, qu’il nous invite à examiner de nouveau. En montrant que M. Dumas « avait rarement emprunté au Code, sans en dénaturer, sciemment ou inconsciemment, les dispositions, » il a voulu montrer qu’il n’appartenait pas à l’auteur dramatique de discuter les questions de droit. Et, ne demandant lui-même au théâtre que « les plus agréables émotions et les plus vives jouissances de l’esprit, » M. Félix Moreau, semblable à beaucoup de professeurs en ce point, n’est pas content, le soir, quand il ouvre le Théâtre complet de M. Dumas, d’y retrouver la matière de sa leçon du matin.

N’est-ce pas le moment de se souvenir qu’il y a tantôt une quinzaine d’années, l’honorable M. Cuvillier-Fleury, dans le Journal des Débats, et à propos de la Femme de Claude, avait fait déjà le même procès ou suscité la même querelle à M. Alexandre Dumas ? « A-t-il droit au crédit dans l’ordre philosophique ? demandait-il, aussi lui, comme M. Félix Moreau ; le crédit du prédicateur public, du législateur à mandat, du magistrat sur son siège, de tous ceux, en un mot, qui ont reçu de la Société mission de l’édifier, de régler sa vie et d’apprécier ses actes ? » et, lui aussi, il concluait que non. Mais il était trop facile à M. Dumas de répondre que ni les Voltaire ni les Rousseau non plus n’avaient reçu mission d’écrire le Contrat social ou le Dictionnaire philosophique ; et qu’ils l’ont écrit tout de même ; et que les prédicateurs publics, les législateurs à mandat, les magistrats sur leur siège en avaient été renversés, et leur Société avec eux. Et, en effet, la vérité, c’est que nous