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Mais au contraire, et non-seulement dans l’histoire ou dans la critique, cela va sans dire, mais dans la poésie même peut-être, mais. dans le roman, et surtout au théâtre, je ne connais pas d’écrivain vraiment digne de ce nom qui ne se soit plus ou moins proposé de « prouver a quelque chose, et qui n’ait soutenu, par conséquent, avec une fortune plus ou moins heureuse, ce que l’on appelle une « thèse. » Laissez de côté la tragédie, si vous le voulez, quoique sans doute. l’auteur d’Horace, et celui de Mahomet, et celui de Ruy Blas, — que je nomme ici sans les comparer et surtout sans les égaler, — aient voulu plus d’une fois démontrer, eux aussi, quelque chose. Et si l’auteur d’Andromaque et de Britannicus a l’air d’abord de faire exception, c’est que l’aventure tragique, empruntée à l’histoire, et forte, si l’on peut ainsi dire, d’être effectivement arrivée, enveloppe en soi, comme l’histoire même, sa moralité, son conseil, et son enseignement. Mais l’École des femmes est une thèse, mais Tartufe est une thèse, mais le Misanthrope est une thèse, mais les Femmes savantes sont une thèse, et, à moins de trouver Molière plus grand dans l’Amour médecin ou dans monsieur de Pourceaugnac, il faut bien convenir qu’il n’a pas nui à sa gloire d’avoir discuté sur la scène la délicate question de l’éducation des filles ou celle plus délicate encore des dangers de la dévotion. Mieux que cela : de ces intrigues, si adroitement conduites, mais si négligemment nouées, et plus négligemment dénouées, par des « moyens de comédie » s’il en fut ; de ce style, dont on a pu faire et dont on a fait depuis Boileau jusqu’à nos jours tant et de si justes critiques, on pourrait presque prétendre que la thèse est le support même, et que, moins amusantes que celles de Scarron, moins bien écrites que celles de Regnard, c’est la thèse ou la pensée qui mettent si haut au-dessus des leurs les grandes comédies de Molière.

Car inversement, voyez ce même Regnard, ou, de nos jours, voyez Scribe. En vers, et dans le goût classique, on n’a pas mieux écrit que Regnard, on n’a pas en plus d’esprit, ni plus d’aisance, plus d’agilité ni de belle humeur ; et, qui a mieux connu « le théâtre » que Scribe ? C’est un honneur que M. Dumas lui-même n’a pas revendiqué sur l’auteur du Verre d’eau ou d’Adrienne Lecouvreur pour celui de la Tour de Nesle, — dont on sait s’il défend filialement la mémoire. Faute cependant d’avoir soutenu des thèses, c’est-à-dire, en bon français, d’avoir en des idées, ou de les avoir montrées ; faute d’avoir agité des questions ; et, contens de nous faire rire, faute d’avoir essayé de nous faire penser, comptez ce qui survit aujourd’hui du premier, et voyez en quelle petite estime les gens même de théâtre tiennent déjà le second. S’il ne suffit sans doute pas d’introduire une thèse dans une comédie pour que la comédie soit bonne, je ne crois pas, d’autre part, que l’on trouvât une seule grande comédie qui ne contienne au