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montre en traits saisissans les effrayans progrès de la consommation de l’alcool, l’influence de cette consommation croissante sur la santé populaire comme sur la moralité publique, le rôle de la fraude dans cette industrie corruptrice, la ruine du fisc dépouillé par la ruse. Tout y est, tout est résumé en chiffres pleins d’éloquence : le réformateur peut se mettre à l’œuvre, s’il le veut !

L’alcool, oui, vraiment, le rapporteur du sénat a raison de le dire, c’est l’ennemi, — l’ennemi du travail, du foyer domestique, de la vie honnête, de la santé morale et de la santé physique des populations. Qu’on songe bien, en effet, qu’avec les années le nombre des débits de boissons alcooliques s’est rapidement et démesurément accru, qu’il est aujourd’hui de 400,000, sans y comprendre 30,000 débits qui sont à Paris, qu’il est des régions où il y a un débit par 50, 40 et même 30 habitans. La consommation par tête s’est nécessairement accrue dans la même proportion, et le budget de l’alcool consommé n’est pas aujourd’hui de moins de 1,600 millions, auxquels il faut ajouter près de 1 milliard de journées et de salaires perdus au cabaret et par le cabaret. Quelle en est la conséquence ? Elle est malheureusement évidente et inexorable. L’alcoolisme produit des populations rachitiques, qui ne donnent plus même des soldats. L’alcoolisme peuple les maisons d’aliénés, les hôpitaux, les asiles ; il peuple aussi les prisons par l’augmentation de la criminalité. C’est là un des côtés de cette question de l’alcool ; il y a un autre côté qui n’est pas moins caractéristique et moins étrange, c’est le rôle de la fraude intervenant comme pour accélérer les effets meurtriers de la coupable industrie, en empoisonnant à bon marché les populations à la faveur d’une tolérance abusive et souvent intéressée. Lorsque l’assemblée nationale, aux derniers temps de sa vie, en 1875, faisait une loi de privilège sur ce qu’on appelait les « bouilleurs de cru, » elle voulait encourager l’industrie rurale, en dispensant de tout droit, de l’exercice, les propriétaires qui distilleraient les produits de leur propre récolte, ces produits seulement. Elle le croyait ainsi. En réalité, c’est la fissure par où la fraude a pénétré et a envahi l’industrie. Les distillateurs favorisés comme propriétaires sont devenus subrepticement des distillateurs de profession, livrant à la consommation toute sorte de produits le plus souvent nuisibles, abusant de leur privilège pour échapper à toute surveillance, à toute redevance, et il s’est formé un immense réseau de fraude au détriment du fisc. M. Claude n’hésite point à déclarer que « la fraude enlève au trésor une somme égale à celle que le trésor perçoit. » La somme retrouvée par une simple application des lois ne fût-elle que de 130 ou 150 millions, elle mettrait certainement fort à l’aise M. le ministre des finances, et la répression de la fraude serait un bienfait pour les populations : de sorte que M. Claude, en soulevant, en pré-