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territoire saxon, fournir de prétexte à l’intervention de la Russie. Le cas, pourtant, était à la fois si pressant et si étrange, que, contrairement à ses habitudes, il crut devoir, avant d’agir, réunir un petit conseil de guerre composé de quelques généraux et de plusieurs de ses ministres. Mais quand il leur eut fait part de la nouvelle qu’il avait reçue, l’incrédulité fut générale ; on ne voulait voir, dans la prétendue indiscrétion du comte de Brühl, qu’une ruse dont le ministre suédois avait été dupe. Personne ne consentait à croire qu’Auguste III et son ministre Brühl eussent l’audace d’appeler chez eux tous les maux de la guerre et de faire entrer dans leur cher électorat quatre armées « qui le mangeraient et le ruineraient à discrétion. » Le vieux prince d’Anhalt surtout, à qui était réservé le commandement du corps qui devait se réunir à Halle pour veiller à la défense de la frontière prussienne, se refusait presque à se charger d’une tâche qu’il regardait comme ridiculement superflue. — « Cela n’est pas vrai, cela n’est pas possible, disait-il sèchement. » — « Je vis clairement, dit Frédéric dans son Histoire, qu’il me prenait en pitié, comme un étourdi emporté par la vivacité de son tempérament. Il est vrai, ajoute-t-il, qu’il est de ces gens qui sont les Narcisses de leurs opinions et abondent toujours dans leur propre sens. » — Quant à Podewils, qui était aussi présent, ce n’était pas lui, avec la timidité qu’on lui connaît, qui, dans le doute, devait opiner pour le parti le plus résolu. De plus, il avait, dit encore Frédéric, quelques fonds placés dans la banque de Leipzig, et se refusait à penser que Brühl, qui y était aussi intéressé, voulût provoquer une secousse d’où la ruine de cet établissement pouvait sortir. Frédéric tint bon et fit comprendre qu’il entendait être obéi, puis il leva la séance, en se repentant peut-être intérieurement d’avoir, pour la première et dernière fois de sa vie, demandé un conseil[1].

C’était bien de songer à la Prusse, mais il fallait aussi regarder, comme avait fait Marie-Thérèse, de tous les côtés de l’horizon d’où on pouvait craindre quelque menace ou attendre quelque secours. En premier lieu, il fallait répondre à la Russie, et c’est ce que Frédéric ne crut pouvoir mieux faire qu’en autorisant son ministre à Saint-Pétersbourg à donner connaissance du texte même de la convention qu’il avait signée à Hanovre. Comme un des articles de cette convention assurait, en termes exprès, à Auguste III une garantie pour la totalité de ses états, on ne pouvait donner,

  1. Frédéric, Histoire de mon temps, rédaction de 1746, publiée à Leipzig en 1879, p. 406-407. — Le même récit est fait, mais sous une forme plus abrégée et beaucoup moins vive, dans la seconde rédaction faite plus tard et qui figure dans les œuvres complètes du roi.