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L’Allemagne philosophique ne semble pas avoir entendu l’avertissement, quelque pratique qu’il eût été pour elle.

On le voit donc : savans et philosophes sont parfois d’accord pour dénigrer la philosophie. Mais de nos jours, pour le dire en passant, on a vu mieux encore. A la suite d’une révolution politique, l’autorité a prêté son concours à des rancunes qu’on n’osait avouer, mais qui n’en étaient pas moins vivaces. Elle a supprimé, dans les études de la jeunesse, jusqu’au nom de la philosophie ; les programmes de nos lycées n’ont plus en que des classes de logique. C’était peut-être une réminiscence de la haine de Napoléon contre l’idéologie. On aurait dit que les pouvoirs publics avaient les mêmes ressentimens que M. Auguste Comte, et qu’ils auraient aimé avec lui à effacer pour jamais un mot odieux. C’était aussi pour complaire aux savans qui étaient les promoteurs de cette réforme, qu’on appelait la bifurcation d’un nom aussi barbare que ses effets. Il paraît même que des professeurs de philosophie s’étaient prêtés à réglementer ces exécutions, oublieux du jugement de Tacite sur les empereurs, qui se figuraient, bien avant leurs copistes, qu’en brûlant des livres, on abolissait la conscience du genre humain.

Des cœurs fidèles à la philosophie se sont émus pour elle ; ils l’ont crue menacée en voyant la conspiration des savans, des philosophes et des gouvernemens ; peut-être même sont-ils allés, dans leur sympathie, jusqu’à redouter un dépérissement fatal, si ce n’est une mort définitive. Ces craintes honorent ceux qui les ont éprouvées, mais elles sont sans cause. Les titres de la philosophie sont imprescriptibles. La pérennité que lui promettait Leibniz a bravé de bien autres persécutions ; la ciguë, les bûchers n’y peuvent rien. Victor Cousin, remontant dans sa chaire, en avril 1828, démontrait éloquemment, et pour toujours, que la philosophie appartient à l’esprit humain ; elle subsistera aussi longtemps qu’il subsistera lui-même. Entre les cinq idées essentielles qui le constituent, la philosophie est à la fois la plus haute et la plus nécessaire. Elle représente le vrai, de même que la religion, avec le culte, représente le saint, que l’art représente le beau, que l’état représente le juste et que l’industrie représente l’utile. A un certain point de vue, la vérité est encore plus indispensable que tout le reste. L’idée du vrai pénètre et soutient les autres idées, qui lui sont soumises, et qui y plongent leurs racines. L’utile, le juste, le beau, le saint et le vrai, c’est là un faisceau qu’aucune force ne peut rompre ; et c’est le vrai qui en est le lien indestructible.

Qu’est-ce donc que la philosophie ? Quels sont ses rapports avec les sciences ? En quoi en diffère-t-elle ? En quoi leur ressemble-t-elle ?