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cette légitime noblesse, qu’est-ce que l’homme devant l’infini et devant Dieu ? Il est bon que la philosophie et les sciences fassent de temps à autre ces réflexions salutaires, pour ne pas méconnaître, comme elles le font quelquefois, le véritable rôle de l’homme et pour ne pas abdiquer le leur, en se substituant à Dieu. Il s’est trouvé des savans pour refaire le monde au lieu de l’étudier, et pour être persuadés que si, à l’origine des choses, ils eussent pu être consultés, elles seraient mieux organisées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Laissons-leur cette démence, qui heureusement n’est pas contagieuse.

Dernière considération qui doit toucher les savans non moins que les philosophes. Cet esprit qui, en s’interrogeant lui-même dans la conscience, y découvre les règles de la méthode, les fondemens de la certitude, les notions essentielles de la nature des êtres, la distinction de l’âme et de la matière, l’idée de l’infini et de Dieu, y découvre encore des choses qui nous importent plus, s’il se peut. N’est-ce pas, en effet, sur le théâtre de la conscience, dans le for intérieur, que se passent les actes les plus admirables de la vie humaine ? Où la vertu, guidée par le libre arbitre et la volonté, puise-t-elle ses résolutions héroïques, ses dévoûmens, ses abnégations ? Où les martyrs puisent-ils leur enthousiasme et leur indomptable courage ? Où les poètes reçoivent-ils leurs inspirations ? Où s’élaborent les maximes de la morale éternelle ? Où se font entendre les ordres du devoir, cet « impératif catégorique » que Kant allait chercher si loin quand il l’avait en lui-même et sous sa main ? La science peut-elle vouloir émaner d’une source plus haute et plus pure ? N’a-t-elle pas, elle aussi, ses héros et ses martyrs, quoi qu’elle en ait moins que la philosophie ? Si elle ne veut pas naître de ce sanctuaire, comme en naissent la philosophie et la métaphysique, de quelle nouvelle région de l’âme humaine pourra-t-elle venir ?

Maintenant peut-on insister pour savoir si la philosophie est une science ? Peut-on encore lui opposer le succès des sciences naturelles et ses constans revers ? A première vue, il paraîtrait bien surprenant que la philosophie, qui procure aux sciences leur certitude et leur méthode, ne fût pas elle-même une science. Ce qu’elle conquiert par l’étude de l’esprit est-il moins assuré, est-il moins clair que ce que les sciences conquièrent en étudiant la nature ? N’est-ce pas l’esprit qui fait la science ? Sur les deux élémens qui la composent, n’est-ce pas l’esprit qui est l’élément invariable et constant ? L’élément extérieur change ; l’élément intérieur ne change pas. L’objet d’une science n’est jamais l’objet d’une autre science. La physique, la chimie, les mathématiques, en un mot toutes les sciences, ont des objets différens ; mais dans toutes sans distinction,