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pas la méconnaître absolument ? C’est peut-être à Newton qu’il faudrait faire remonter l’équivoque. Mais le grand astronome, en intitulant son ouvrage : Principes mathématiques de la philosophie naturelle ne songeait guère à transformer l’antique philosophie ; il restreignait la philosophie naturelle à l’astronomie et à quelques autres sciences analogues, comme le font encore bien des écrivains anglais ; il ne pensait pas à provoquer une révolution, qu’on a tentée plus tard, et qu’il aurait, dans sa piété, certainement désavouée.

Si la philosophie ne peut pas prendre place parmi les sciences naturelles, elle n’est pas non plus une science unique et à part ; elle ressemble au reste des sciences, en ce qu’elle vit comme elles d’observations et d’inductions. On l’a blâmée d’une prétention et d’une vanité qu’elle n’a pas. La seule différence qui puisse l’isoler est, non pas en elle-même, mais dans les objets qu’elle étudie. Ces ; objets ne peuvent être comparés à aucun des autres objets, parce qu’ils sont les plus grands et qu’ils comprennent tous les autres. Qu’y a-t-il au-dessus de Dieu, de la nature et de l’esprit ? Est-il rien de plus nécessaire pour notre intelligence que de sonder les mystères que ces trois mots recèlent ? Est-il rien de plus pratique pour la conduite de la vie et pour l’explication de notre destinée, pour les sociétés et pour les individus ? La religion tâche de les interpréter, et même quelquefois d’en retenir le monopole par la force, tant l’humanité est jalouse de la solution ! La philosophie n’a point à combattre la religion ; elle serait tentée plutôt de là défendre, quoique souvent persécutée par ceux qui la représentent. Mais elle ne suit pas la religion comme la suivent les nations, parce que son procédé est tout autre, et que la raison, si elle peut s’accorder sur certains points avec la foi, ne peut jamais se confondre avec elle, malgré ce que Leibniz en a pensé. La foi s’en remet au témoignage et à l’autorité ; la raison ne s’en remet qu’à elle seule. Elle cesserait d’être ce qu’elle est, si elle abdiquait son indépendance en quelque mesure que ce fût. Elle n’en a pas moins d’affectueuse vénération pour la religion, dont le but est le même que le sien, quoique la religion y arrive par une voie moins sûre.

De cette conformité d’objet sort une conséquence toute naturelle : c’est que la philosophie reçoit, dans l’estime des hommes, quelque chose de leur respect pour la religion. Ce n’est pas aux ministres du culte, ce n’est pas aux philosophes que s’adresse cet hommage ; il s’adresse aux problèmes que la religion et la philosophie ont à résoudre, chacune à leur point de vue. Ces problèmes sont si graves, ils intéressent si essentiellement l’humanité, qu’elle ne saurait les entourer de trop de solennité. Leur grandeur majestueuse se reflète en partie jusque sur ceux qui en gardent le dépôt, sacré ou