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L’étrange oubli dont le capitaine de la Minerve, de l’Iphigénie, de l’Aréthuse fut victime, demeure donc, à mes yeux, inexplicable. « Je pense, j’affirme et je l’ai dit sans cesse à qui l’a voulu entendre, s’empresse de lui écrire l’amiral Roussin lorsqu’il apprend, pendant une relâche à Rio-Janeiro, la promotion du 17 août 1822, que vous êtes le premier officier de la marine de France. J’ai plus appris, pendant les dix mois que j’ai été votre second, que dans tout ce que j’ai vu ailleurs. Je n’ai jamais cru possible de me voir avant vous sur une liste… Vous m’avez fait croire que les belles actions étaient faciles en me montrant combien elles paraissaient vous coûter peu. J’ai tâché de vous imiter, mais je n’en ai en que le désir : les occasions m’ont manqué. Vous, qui les avez trouvées et si glorieusement saisies, combien n’êtes-vous pas au-dessus de moi ! Je l’aurais appris cent fois par les étrangers si je n’en étais convaincu. Les Anglais, cher Bouvet, vous rendent une haute justice, et j’ai en souvent l’occasion de me glorifier de vous avoir eu pour mon chef, de pouvoir aujourd’hui vous nommer mon ami. » Que pensez-vous de ce second et de ce capitaine ? Vous étonnerez-vous encore qu’on soit fier d’être marin, quand la marine a produit de tels hommes ?

Rentré en France le 31 décembre 1822, le contre-amiral Roussin arborait de nouveau son pavillon sur la frégate l’Amphitrite, le 6 juillet 1823. Il ne réclamait pas de repos ; on trouvait tout naturel de ne pas lui en accorder. Sur l’Amphitrite et sur l’Amazone, qui lui fut bientôt rendue, coursier fidèle dont il connaissait les allures, Roussin prit part aux grandes manœuvres de l’escadre d’évolutions rassemblée sous les ordres d’un illustre maître, le vice-amiral baron Duperré. La campagne fut courte : commencée le 6 juillet, elle se termina le 27 septembre.


II.

Une période de loisir s’ouvrait enfin. Durant quarante-deux mois et vingt-sept jours, le contre-amiral Roussin ne fut plus qu’un homme de bureau. Il n’y a que les capitan-pachas qui commandent toute leur vie. Il est vrai que leur vie est souvent abrégée lorsqu’ils cessent de plaire. Ne nous plaignons donc pas trop de notre sort. A l’exemple de l’Angleterre, la France créait, le 21 août 1824, un conseil d’amirauté. On espérait, grâce à cet expédient, pouvoir se dispenser de chercher dans la marine même le ministre à qui l’on confierait la conduite de ses destinées. Grande illusion, suivant moi ! La responsabilité, quelque détour qu’on prenne pour en