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conversion, est aujourd’hui un des conservateurs de la paix, du droit, de l’équilibre des nations ! Le chancelier de l’empereur François-Joseph, le comte Kalnoky, a eu à son tour, ces jours passés, l’occasion de s’expliquer et devant la délégation hongroise et devant la délégation autrichienne. Le comte Kalnoky a parlé en homme provisoirement sûr de son affaire. Il n’a point hésité à représenter comme la première et souveraine garantie de la paix l’alliance de l’Autriche, de l’Allemagne et de l’Italie, cette alliance à laquelle l’Angleterre se rattacherait au besoin dans les affaires d’Orient. Il s’est exprimé avec un certain art sur la question bulgare, sur la politique du cabinet de Vienne, sur les relations de l’Autriche et de la Russie, relations qui, sans avoir peut-être un caractère de parfaite cordialité, restent courtoises et pacifiques. Sans rien brusquer, il en a dit assez pour être compris à Pétersbourg, pour laisser entendre que l’Autriche, toujours préoccupée de sa position en Orient, appuyée par ses alliés, n’admettrait en aucun cas l’intervention d’une seule puissance, surtout d’une puissance rivale, dans les Balkans. M. de Kalnoky a eu tout le succès qu’il désirait auprès de ses délégations, de même que M. Crispi a eu son succès à Turin. Dans toutes ces explications italiennes et autrichiennes, du reste, comme s’il y avait un mot d’ordre, on ne parle que de la paix, du respect des traites et de tous les droits, d’un accord défensif. S’il y a autre chose dans l’alliance, on ne le dit pas, c’est le secret de l’avenir ; on se contente de parler du présent avec la confiance d’hommes satisfaits de leur rôle.

Oui, sans doute, tout le monde est content ou paraît l’être. L’Italie est contente, elle est entrée dans une sainte-alliance d’un nouveau genre, et elle s’y trouve bien ! Il y a bien encore, il est vrai, des Italiens qui se sentent mal à l’aise devant cette politique, qui la jugent dangereuse ou inutile et qui le disent. M. Crispi se chargera de les convertir à la grande diplomatie, de leur démontrer que l’Italie doit être trop heureuse de se voir l’alliée ou la protégée, pour ainsi dire, de l’empire d’Allemagne ! L’Autriche, elle aussi, est satisfaite. Elle se sent garantie ; elle a pu en douter quelquefois, elle se croit plus sûre aujourd’hui d’être soutenue dans sa politique si elle venait à être attaquée. Bref, à en juger par les discours, la satisfaction est universelle : tout est pour le mieux ! L’alliance dont on fait tant de bruit, qu’on s’efforce de commenter pour l’instruction du monde, cette alliance n’a, comme on le dit, d’autre objet que la défense commune, le maintien de la paix, l’inviolabilité des traités ; c’est entendu ! Il y a seulement une petite difficulté : ceux qui contractent de ces engagemens en partie inconnus, en parlant toujours de la paix, ne s’aperçoivent pas qu’ils parlent pour ne rien dire, qu’ils n’abusent personne, que des alliances de ce genre ne signifient rien ou qu’elles sont faites justement en vue d’une guerre prévue, préparée par eux-mêmes :