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qui est plus précis et plus significatif dans le discours de Guildhall. c’est la netteté avec laquelle lord Salisbury s’est exprimé sur un des points les plus essentiels de la politique du jour. Évidemment le premier ministre de la reine Victoria a tenu à faire un acte public, quoique tout moral, d’adhésion à l’alliance des puissances centrales de l’Europe et à leurs déclarations pacifiques ; il a voulu démontrer que l’Angleterre n’était pas insensible à l’appel que le chancelier autrichien, M. de Kalnoky, et le président du conseil italien, lui avaient adressé dans leurs récens discours. Le comte Kalnoky et M. Crispi ont exprimé la confiance que l’appui et les sympathies de l’Angleterre ne leur manqueraient pas dans l’œuvre de paix qu’ils prétendent poursuivre ; lord Salisbury leur a répondu galamment, en leur envoyant les témoignages de ses sympathies, en ajoutant que l’Angleterre n’avait pas de plus vif désir que de voir la paix garantie, que c’était pour elle une politique traditionnelle de maintenir les traités souscrits et acceptés par l’Europe, de respecter aussi l’indépendance des peuples.

C’est bien, si l’on veut, une adhésion morale à la triple alliance ou plutôt au programme pacifique qu’elle se donne. L’Angleterre particulièrement ne refusera pas, à coup sûr, son appui et ses sympathies à ceux qui voudront contenir l’influence de la Russie en Orient, dans les Balkans ; elle a soutenu, tant qu’elle l’a pu, le prince Alexandre de Battenberg à Sofia, elle serait vraisemblablement toute prête encore à soutenir le prince Ferdinand de Cobourg. On ne saurait cependant se méprendre sur la vraie pensée anglaise, et il ne faudrait pas exagérer la portée d’une déclaration peut-être un peu platonique. L’Angleterre, qui s’est rarement engagée dans les alliances continentales, n’est probablement pas plus disposée aujourd’hui à se lier d’avance, à prendre fait et cause pour toutes les parties connues ou inconnues du programme de cette triple alliance, à laquelle elle offre ses vœux et ses sympathies. Ce n’est pas sa tradition, comme le dit lord Salisbury, comme l’ont dit si souvent les ministres anglais. N’y eût-il pas cette raison déjà puissante d’une vieille tradition pour un empire qui a tant d’intérêts lointains et compliqués, le cabinet qui existe aujourd’hui aurait bien d’autres raisons de rester mesuré et circonspect ; il les trouverait au besoin dans la situation intérieure, dans les difficultés de la campagne qu’il a engagée pour « pacifier » ou, en restant plus vrai, pour réduire l’Irlande. Le cabinet conservateur a obtenu, dans la session dernière, tous les bills de coercition qu’il a jugés nécessaires ; il les applique aujourd’hui, et il peut s’apercevoir qu’il est entraîné aux mesures les plus violentes sans décourager l’esprit national irlandais. Il a fait récemment mettre en jugement un des chefs irlandais, M. O’Brien, il l’a fait condamner, et, après sa condamnation, il a essayé de lui infliger les plus durs traitement dans sa prison ; il n’a pas pu aller jusqu’au bout. A défaut de M. O’Brien, s’il reste prisonnier, d’autres chefs irlandais