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tenir en réserve pour le cas très probable où le roi de Prusse, dont la marche vers Dresde était déjà annoncée, viendrait en aide à son lieutenant intimidé ou vaincu.

Ce n’était pas là, nous apprend Frédéric dans son Histoire, le seul motif qui décidait le général saxon à refuser un secours d’où pouvait dépendre le sort de la journée. La vérité est qu’il croyait avoir fait choix, pour attendre les Prussiens, d’une position qu’il regardait comme inexpugnable, et qu’il voulait garder pour lui-même tout l’honneur du plan qu’il avait forme. L’idée dont il tenait ainsi à se réserver le mérite n’était autre chose, nous dit encore Frédéric, que la reproduction à peu près exacte des dispositions prises par le maréchal de Saxe à Fontenoy. Il avait remarqué une certaine ressemblance entre la plaine qui s’étend de Dresde au petit village de Kesselsdorf (et que d’Anhalt devait traverser) et celle qui longeait l’Escaut devant Tournay. Là régnait aussi un ravin profond, pareil à celui qui, placé sous le feu du bois de Barry, avait joué un si grand rôle dans la journée du 11 mai. C’était en profitant de cette fortification naturelle et en la complétant par des retranchemens garnis d’artillerie que Rustowski, à l’exemple de Maurice, croyait pouvoir attendre en sûreté l’attaque de l’ennemi.

Mais deux situations peuvent être analogues sans se ressembler complètement. La position prise par Rustowski était plus forte peut-être sur sa droite que celle de Fontenoy, puisque le ravin, dont le fond était hérissé de rochers et de grands arbres, aboutissait à l’Elbe, et que, de ce côté, le passage était entièrement fermé. En revanche, sur la gauche, le village de Kesselsdorf restait absolument découvert, et ce fut de ce côté que le prince d’Anhalt, jugeant tout de suite où était le point faible, porta toute la vigueur de son attaque. Telle était pourtant l’excellence du modèle suivi par Rustowski que, malgré cette imperfection, la copie, pendant les premières heures, se comporta comme l’original. Deux tentatives des Prussiens, dirigées contre le village de Kesselsdorf, furent repoussées successivement, comme l’avaient été à Fontenoy celle de Cumberland, par le feu très bien nourri des batteries saxonnes. D’Anhalt songeait déjà à la retraite, quand les Saxons, exaltés par leur succès et voulant y mettre le comble, firent la faute capitale de sortir de leurs retranchemens pour suivre l’ennemi qui s’éloignait. Par suite de cette fausse manœuvre, ils se trouvèrent placés eux-mêmes devant leurs batteries qui durent cesser de tirer ; d’Anhalt, qui vit l’imprudence, se retourna vivement pour fondre, avec sa cavalerie, sur les bataillons qui s’étaient mis en prise, et, les contraignant à reculer à leur tour, pénétra à leur suite dans le