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encore, les troupes autrichiennes et françaises devaient se rencontrer, et en venir aux mains avec des succès inégaux sur les champs de bataille des Pays-Bas et de l’Italie ; et malgré cette hostilité continue, pas un seul jour cette pensée d’une réconciliation avec la France ne sortit de l’esprit de l’héritière de Charles-Quint. En paix, comme en guerre, ce fut le dessein auquel elle travailla sans relâche, jusqu’à ce qu’enfin, après dix ans d’efforts, par le fameux traité de Versailles de 1756, elle réussit à le réaliser.

Je ne connais rien qui démontre mieux combien est vrai dans le monde moral et politique, plus encore que dans le monde matériel, l’axiome de l’ancienne école : Nil natura per saltum. Lorsque pour la première fois parut au jour ce traité de 1756, objet de tant de controverses, qui mit sur la même ligne de combat les drapeaux de France et d’Autriche, que n’a-t-on pas dit, que n’a-t-on pas pensé de ce rapprochement imprévu ! Quel coup de théâtre ! quelle surprise chez les contemporains ! et, depuis lors, que de commentaires chez les historiens ! A quels futiles incidens ne s’est-on pas plu à attribuer cette mémorable révolution diplomatique et militaire ? Que de puériles anecdotes ! C’est tantôt un billet flatteur de Marie-Thérèse à la marquise de Pompadour, tantôt une plaisanterie de Frédéric sur les amours de Louis XV, qui a, dit-on, déterminé la France à abandonner sa politique traditionnelle. Et voilà, s’écrient avec une condoléance véritable ou affectée les historiens français salariés par Frédéric ou aveuglés par une sotte admiration pour lui, à quoi tiennent les destinées des empires et ce qui fait verser le sang des peuples ! Erreur ou mensonge. Le résultat qui éclata alors était préparé de longue date, et ce n’était pas seulement la France, c’étaient tous les acteurs du drame européen, Autriche, Prusse, Angleterre, qui, avant de reparaître sur la scène, avaient changé, dans les coulisses, de costume pour être prêts à changer de rôle. Ils obéissaient tous, avec plus ou moins d’hésitation, ceux-ci par calcul, ceux-là par instinct, à une nécessité de situation à peu près irrésistible. En réalité, l’avènement d’une grande puissance armée dans les plaines du Brandebourg ne pouvait manquer d’altérer tout l’ancien système fédératif de l’Europe, de même que, si (pour faire une supposition chimérique) une nouvelle planète venait à apparaître dans l’espace, tout l’ordre du système solaire, décrit par Copernic et Newton, en serait nécessairement troublé.

À ce point de vue, la convention de Hanovre et la négociation infructueuse entamée à Dresde, ces deux faits, l’un trop négligé, l’autre resté inconnu jusqu’à nos jours, jettent une vive lumière sur la suite des événemens dont nous subissons encore, même