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aujourd’hui, la conséquence. Il est certain que, si Vaulgrenant et d’Harrach étaient sortis la main dans la main de leur dernier entretien, la guerre de la succession d’Autriche se serait terminée dans des conditions analogues à celles où s’est engagée la guerre de sept ans. Seulement, il est permis de penser que, les circonstances étant différentes, le succès final l’eût été également. En 1745, les Pays-Bas, qu’une paix précipitée ne devait pas tarder à rendre à l’Autriche, étaient conquis presque en entier ; en nous en abandonnant une partie, Marie-Thérèse ne faisait que consacrer le résultat glorieusement conquis par les victoires de Maurice de Saxe, et le prix de notre alliance se trouvait ainsi d’avance acquitté par elle, le jour même du contrat. On ne voit pas qui aurait eu le droit de disputer à la France un avantage aussi légitimement obtenu. On voit encore moins qui, à cette heure, en aurait en la force : ce n’était point, assurément, l’Angleterre, avec Charles-Edouard aux portes de Londres, et sa royauté tremblante, qui rappelait précipitamment tous ses soldats du continent. Serait-ce Frédéric avec ses armées épuisées et son trésor à sec ? On peut en douter. S’il l’eût tenté cependant, s’il eût passé, dans ses rapports avec la France, d’une neutralité malveillante à une hostilité directe, il aurait trouvé à qui parler ; il n’aurait pas en affaire, comme dix ans plus tard, à des Soubise et à des Clermont. Maurice était vivant, et n’aurait pas conduit nos armées aux désastres de Rosbach et de Minden.

Je persiste donc à penser qu’il y eut pour la France, à ce moment critique, une occasion singulièrement favorable et déplorablement perdue, que n’auraient laissée échapper ni le coup d’œil d’aigle de Richelieu, ni l’adresse de Mazarin, ni la vigilance royale de Louis XIV. Mais Richelieu, Mazarin et Louis XIV étaient dans la tombe, et leur génie, enseveli avec eux, ne devait plus revivre.


Duc DE BROGLIE.