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cié leurs efforts. Ce fardeau est trop lourd pour les épaules d’un homme seul ; de tous ceux qui ont conçu cette haute ambition, aucun, ni Mure, ni Otffried Muller, ni Bernhardy, ni Bergk n’a pu remplir tout son programme et aller jusqu’au bout de la voie. Ceux qui s’y engagent aujourd’hui de concert ont une longue habitude de travailler et de penser en commun ; l’exacte correspondance des destinées a encore resserré les liens que le sang avait créés. La maison paternelle les avait formés dans les mêmes disciplines ; un peu plus tard, les mêmes maîtres les avaient initiés au culte des modèles classiques, aux mystères de cette religion qui compte encore quelques fidèles ; ils ont ensuite passé par la même école et suivi la même carrière ; ils occupent, l’un à Paris et l’autre à Montpellier, des chaires pareilles. Ils auraient pu se contenter d’être gens de goût et professeurs excellens ; c’est une tentation à laquelle ne cèdent, dans notre université française, que trop d’esprits distingués ; ceux-ci se sont astreints au dur labeur de composer et d’écrire. Comme s’ils avaient conçu de bonne heure la pensée de l’ouvrage considérable dont ils nous offrent aujourd’hui les prémices, toutes leurs recherches ont porté sur des parties de cet ensemble qu’ils s’apprêtent à embrasser tout entier. C’est ainsi que M. Maurice Croiset a su parler, avec une élégance aisée qui était bien de mise en un pareil sujet, du plus spirituel des sophistes grecs, de Lucien, que l’on a souvent comparé à Voltaire ; il l’a, d’une main adroite, replacé dans son milieu, entre le polythéisme, qui n’obtient plus que des respects vides de croyance, et le christianisme qui commence par en bas la conquête de la société gréco-romaine ; il a fait connaître, par une complète et lucide analyse, l’œuvre très variée du brillant écrivain[1]. Quant à M. Alfred Croiset, il suffira de rappeler son étude sur Pindare, où un si vif sentiment des beautés originales du poète thébain s’allie à une érudition si curieuse et si sûre, que n’effraient point les problèmes les plus ardus, la difficulté de restituer la métrique des odes et de se faire une idée de la musique qui leur servait d’accompagnement[2]. La magistrale édition de Thucydide n’a pas été accueillie avec moins de faveur ; elle a trouvé grâce devant les philologues les plus exigeant, et elle a gagné le suffrage des lettrés les plus délicats[3].

  1. Croizet (Maurice), Essai sur la vie et les œuvres de Lucien, 1 vol. in-8o, 1882 ; Hachette.
  2. Croiset (Alfred), la Poésie de Pindare et les lois du lyrisme grec, 1 vol in-8o, 1880 ; Hachette.
  3. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponèse, texte grec, publié d’après les travaux les plus récens de la philologie, avec un commentaire critique et explicatif, et précédé d’une introduction, par M. Alfred Croisét Livres I-II, 1 vol. in-8o, 1886 ; Hachette.