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LA QUESTION HOMÉRIQUE.

Ve siècle[1] ? Comment faire pour prendre parti, pour choisir entre toutes ces hypothèses qui se détruisent l’une l’autre, très fortes tant qu’il ne s’agit que d’ébranler et de renverser la théorie contraire, très faibles et bientôt ruinées jusque dans leurs fondemens dès qu’elles sont à leur tour attaquées et battues en brèche par un vigoureux assaillant ? Où chercher un moyen terme entre la conception un peu enfantine dont se contentait la bonhomie de nos pères et ces systèmes tout arbitraires où l’on exalte la poésie et où l’on supprime le poète, entre les pensées que suggère au critique l’étude comparative des littératures et cette vérité d’expérience qu’il n’y a pas, dans l’histoire des lettres et des arts, de grand monument où un homme de génie n’ait mis la main et laissé l’empreinte de sa personne exceptionnelle et sacrée ? C’est dans l’analyse et, si l’on peut ainsi parler, dans la dissection des deux épopées, que l’on dit trouver la justification de toutes ces hypothèses ; pour mesurer le degré de confiance qu’elles méritent, le mieux ne serait-il pas de fermer, au moins pour un temps, tous ces gros livres où la matière est souvent si mince, tous ces programmes, toutes ces thèses où la polémique, presque toujours pédantesque, prend parfois des allures injurieuses ? Le plus sûr n’est-il pas de s’adresser aux deux sœurs immortelles, l’Iliade et à l’Odyssée, pour les interroger en toute franchise et pour tâcher de saisir leur réponse ?

L’heure des vacances avait sonné ; je partais pour aller passer l’automne à la campagne, dans un village de la côte normande ; tout ce que je tirai de ma bibliothèque, ce fut un dictionnaire et l’Homère de Boissonade, celui qui fait partie de cette jolie collection des poètes grecs que ce fin helléniste s’amusa jadis à publier. sans autre ambition que de fournir un texte correct aux honnêtes gens qui auraient envie de mettre dans leur poche un Sophocle ou un Théocrite et de l’emporter en promenade ou en voyage[2]. Les volumes sont petits et très bien imprimés, sur papier de fil, avec des caractères nets et fermes que Jules Didot avait fondus tout exprès ; il y en a quatre pour Homère : deux pour l’Iliade, deux

  1. Homeri quæ nunc exstant au reliquis cycli carminibus antiquiora jure habita sint, auctore F. A. Paley, M. A., Homeri Iliadis, Hesiodi, Æschyli editore. Londres Norgate. Dans au article de la Revue critique (20 septembre 1879), nous croyons avoir montré combien était paradoxale et impossible à soutenir la thèse de M. Paley, fondée tout entière sur des assertions gratuites ou sur des textes et sur des faits mal interprétés ; elle n’a d’ailleurs, que nous fâchions, été admise par aucun critique dont l’opinion compte.
  2. Poetarum græcorum sylloge, 24 vol. in-32,1823-1826, chez Lefèvre. En 1867, voici comment l’éditeur définissait lui-même son entreprise : Ces volumes, disait-il dans la préface du tome Ier, l’Anacréon, c’étaient des « libelli belluli, qui otio magis et deambulationi litteratorum conveniunt quam studiis reconditioribus. »