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verse. C’est que, depuis bien des années, il entretenait avec cette poésie un doux et familier commerce ; il n’était pas de ceux comme il y en a tant, même parmi les plus renommés, qui dissertent sur Homère sans l’avoir jamais la ailleurs que dans une traduction[1].

Après ces maîtres, on n’aurait plus rien à dire, si on ne se plaçait à un point de vue un peu différent. Par de nombreux exemples empruntés à d’autres civilisations primitives, ils ont prouvé que le poète et le public auquel il s’adressait ont pu se passer de l’écriture, le premier pour composer son œuvre, le second pour en recevoir et en transmettre le dépôt. On a très bien compris ce qu’avaient pu être la puissance et la ténacité de la mémoire quand elle était toujours exercée, et, comme dirait un ingénieur, sous pression ; mais ce que l’on n’a pas assez montré, ce me semble, c’est comment, dans de telles conditions, l’intelligence avait pu prendre assez de souplesse et de force pour être capable d’enfanter des œuvres qui eussent ces caractères d’ampleur et d’unité que nous admirons dans l’Iliade.

Une première étude s’imposerait au critique qui aurait l’ambition de ne négliger aucune des données du problème : ce serait l’étude, une étude méthodique et approfondie, de la langue d’Homère. On devrait en relever toutes les particularités et les classer sous les trois chefs que comporte toute analyse de ce genre : phonétique, morphologie et syntaxe ; mais cet inventaire n’aura de valeur qu’à la condition d’être poussé jusque dans le dernier détail, ce qui ne saurait se faire que dans des travaux tout techniques, destinés aux philologues de profession. Ici, l’on se bornera à deux remarques ; elles portent sur des faits qui avaient déjà frappé les commentateurs anciens et que les modernes ont soumis à un examen plus rigoureux.

« Il ne suffit pas à Homère, dit Dion Chrysostome, de mêler ensemble les diverses façons de parler des Hellènes et de s’exprimer tantôt en éolien, tantôt en dorien, tantôt en ionien ; il faut encore qu’il parle olympien, διαστὶ διαλέγεσθαι[2]. « N’insistons pas sur l’allusion que renferment ces derniers mots à ce que les anciens appelaient la dionymie homérique, c’est-à-dire à quelques rares passages de l’Iliade dans lesquels le nom d’un même objet ou d’un même personnage est donné deux fois, d’abord dans la langue des hommes, puis dans ce que le poète appelle la langue des dieux ; selon toute apparence, les termes qu’il indique comme appartenant au seul parler des dieux sont des termes déjà vieillis

  1. La leçon d’ouverture du cours de M. Jules Girard a été publiée dans la Revue des cours littéraires du 20 mars 1865.
  2. Dion Chrysostome, Orationes, XI, 23.