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sophistes, qu’il faut séparer des vendeurs de paroles, leurs disciples dégénérés, parce qu’ils furent des philosophes et d’habiles dialecticiens que Socrate et Platon respectaient. Chez quelques-uns, on rencontrerait des pensées que n’auraient pas réprouvées les anciens sages. « Tous les animaux, disait Protagoras, ont leurs moyens de défense ; à l’homme, la nature a donné le sens du juste et l’horreur de l’injustice. Ce sont les armes qui le protègent, parce que ces dispositions naturelles l’aident à établir de bonnes institutions. » Elle est de Prodicus, la belle allégorie d’Hercule, sollicité, au moment d’entrer dans la vie active, par la Vertu et la Volupté, et se décidant à suivre la première. Lycophron déclare que la noblesse est un avantage imaginaire ; Alcidamas, que la nature ne fait pas des hommes libres et des hommes esclaves, thèse que les derniers stoïciens reprendront. A travers cette sophistique purifiée par Socrate, on entrevoit un monde nouveau qui s’élève. Ce que le citoyen va perdre, l’homme le gagnera, et la lutte entre le jus civitatis et le jus gentium que les écoles socratiques vont entreprendre sera l’histoire même des progrès de l’humanité.

Aristophane avait attaqué la sophistique avec une vigueur singulière, sans proposer d’autre remède que de fermer les écoles des philosophes et de reculer de trois générations en arrière. Mais lui-même n’a-t-il pas tous les vices de son temps, l’immoralité et l’irréligion ? Le remède véritable n’était pas l’ignorance des anciens jours ; on le pouvait trouver dans la science virile que venait d’inaugurer un homme, et cet homme était celui que je poète avait le plus cruellement attaqué.


III

Socrate naquit, en 469, d’une sage-femme et d’un sculpteur appelé Sophronisque. Il était fort laid, ce qui l’aida à comprendre de bonne heure que la laideur morale seule est repoussante. On dit qu’il exerça d’abord la profession de son père, et Pausanias vit dans la citadelle d’Athènes un groupe représentant les Grâces voilées, qu’on lui attribuait. Quoiqu’il fût pauvre, il abandonna bientôt son art, que peut-être il ne pratiqua jamais, et il se mit à étudier les ouvrages et les systèmes des philosophes, ses contemporains ou ses prédécesseurs. Ces études spéculatives ne l’empêchèrent pas de remplir ceux des devoirs de citoyens dont la loi faisait une obligation : il combattit courageusement à Potidée, à Amphipolis et à Délion ; à Potidée, il sauva Alcibiade blessé ; à Délion, il résista un des derniers et manqua d’être pris. Les généraux disaient que, si tous avaient fait comme lui leur devoir, la bataille n’eût pas été perdue.