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nos Français ; mais ceux-ci, rassasiés de gloire militaire, soucieux des événemens de France, n’aspiraient plus qu’à retourner en Occident. Richelieu, Charles de Ligne et Roger de Damas repartirent donc le 14 novembre et arrivèrent à Vienne. Catherine II, en récompense des exploits de Richelieu, lui avait accordé la croix de Saint-George et fait don d’une épée d’or. Elle écrivait à Grimm : « Il n’y a qu’une voix sur le duc de Richelieu d’aujourd’hui. Puisse-t-il jouer le rôle du cardinal un jour en France, sans en avoir les défauts ! En dépit de l’assemblée nationale, je veux qu’il reste duc de Richelieu et qu’il aide à rétablir la monarchie. » Vingt-trois ans devaient se passer avant que le vœu de l’impératrice s’accomplit. C’est dans l’hiver de 1790 à 1791 que Langeron, dans sa Notice, place le premier voyage à Pétersbourg de son ami, devenu, par la mort de son père, duc de Richelieu, et sa présentation à l’impératrice. Il y a là évidemment une erreur. La correspondance de Grimm avec Catherine en fait foi. « Le duc, écrit-il à la date du 10 avril 1791, à son retour d’Ismaïl.., m’a parlé de son extrême regret de ce que la mort de son père, — qui, par parenthèse, n’est pas une perte, — l’ait obligé de revenir ici (à Paris) en toute hâte et empêché de suivre le prince brillant (Potemkin) à Pétersbourg. » Et à la date du 11 mai : « Le duc de Richelieu, dont le nom ismaïlitique était Fronsac, et qui vient de faire une course à Londres, a la tête tournée de sa croix de Saint-George : il en a une joie d’enfant. »

Richelieu héritait, avec son nouveau titre ducal, une immense fortune, montant à près de 500,000 livres de revenu, mais fortement grevée par la mauvaise administration de son père. « Son extrême délicatesse, lit-on dans la Notice de la duchesse, lui imposa la loi de n’en jouir qu’après que les dettes très considérables de son père seraient payées. » Pendant son voyage d’Angleterre, il apprit que Louis XVI le rappelait auprès de lui, pour son service personnel. Il Malgré les réflexions infiniment désagréables qu’a fait naître en foule la résolution que j’allais prendre, écrit-il à sa femme, j’ai obéi à la voix du devoir et je suis parti sur-le-champ. » Le roi était installé aux Tuileries, et les Tuileries n’étaient guère sûres. La fermentation était grande dans Paris, et, quelques jours après l’arrivée du duc, trois officiers de la garde nationale manquèrent d’être pendus dans le jardin même du palais. « Je vous assure, écrit-il encore, qu’il m’a fallu plus de courage et de dévoûment pour me décider à revenir qu’il n’en aurait fallu à un poltron pour monter à l’assaut d’Ismaïl. »

Lorsque le roi exécuta la fugue de Varennes, Richelieu ne fut pas mis dans le secret, où la légèreté de la reine avait cependant mis le coiffeur Léonard. Il n’apprit qu’en même temps que tout le monde