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d’officier russe dont il se couvrait, il faut donc le considérer comme un soldat de Condé. S’il n’était pas un émigré de droit, il était bien un émigré de fait, un émigré de cœur. Rien d’étonnant si nous voyons, en mai 1792, sa femme, « la femme Richelieu, » protester contre le séquestre dont les biens de son mari sont menacés, repoussant la qualification d’émigré qu’on veut attribuer au duc, invoquant son passeport de 1791, alléguant son titre d’officier au service de Russie, produisant une attestation signée de Novikof, le chargé d’affaires russe à Paris. Il est probable qu’en 1792, et sur des raisons assez plausibles, le séquestre dut être prononcé. Puis la convention déclara les domaines du duc biens nationaux et fit procéder à la vente d’une partie de ses propriétés. Enfin sa femme elle-même fut jetée en prison et n’en sortit qu’après thermidor. La gêne de la duchesse fut alors extrême, celle du duc également. A certains momens, surtout après sa disgrâce sous Paul Ier, Richelieu fut réduit à vivre avec trente sous par jour. « Je reçus à cette époque, écrit Mme de Richelieu, une lettre de lui qui m’annonçait sa triste situation et me témoignait que le nec plus ultra de son ambition serait de recueillir de son immense fortune 1,000 écus de rente. Quelle douleur j’éprouvai de ne pouvoir même pas, sur ma dot, les lui assurer ! Ses biens étaient vendus en partie et la nation s’était emparée du reste. Je sortais de prison, et le bien de ma mère était sous le séquestre. »

C’est au printemps de 1794 que Richelieu reparut en Russie, accompagné de Langerons qui avait partagé toutes ses aventures de guerre. Ils furent assez heureux, — Potemkin étant mort, — pour trouver un autre protecteur, le vieux maréchal Roumantzof, un autre héros des guerres turques, le vainqueur de Kagoul, Langeron le dépeint comme un « homme d’un esprit supérieur, d’un grand talent, mais d’un caractère dur et bizarre, chef exact et sévère, mais plutôt calculateur qu’audacieux et plus habile général qu’intrépide soldat. » Il prit les deux Français en affection, nomma Richelieu colonel en second de son régiment de cuirassiers et Langeron vice-colonel de son régiment des grenadiers de la Petite-Russie. Ce fut pour eux une bonne fortune, car, dit encore Langeron, « ils ne trouvaient plus à la cour de Russie les mêmes prévenances qu’autrefois, M. de Richelieu ne fut plus admis aux sociétés de l’Ermitage ; la cause des Bourbons et celle de la noblesse française étaient perdues, et on les expédia assez sèchement à leurs régimens, où ils allaient plutôt par nécessité que par attrait. »

Richelieu avait inutilement essayé de lutter contre ces dispositions de Catherine. Ses lettres à son ami le comte Razoumovski, alors ambassadeur de Russie à Vienne, témoignent de l’amertume qu’il en ressentit : « Si l’on avait eu pour but de me dégoûter