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Quelque affligeant que soit pour l’humanité, écrit-il à l’empereur, devoir un million d’hommes s’égorger pour satisfaire la vanité et l’ambition d’un seul homme qui veut être le fléau de ses semblables, il me semble pourtant qu’on doit préférer encore la guerre à l’état, forcé où nous nous trouvions, qui, tôt ou tard, devait amener le résultat que nous voyons. Puisse la Providence se lasser une fois de protéger le crime, l’injustice et la violence ! Jamais personne plus que vous, Sire, ne s’est efforcé de mettre de son côté le bon droit, la justice et la modération. L’Europe entière, même les peuples qui combattent contre vous, ne peuvent s’empêcher de vous regarder comme le défenseur de leur liberté et de former en. secret des vœux, pour vos succès. Pour faire triompher une si belle cause, il faut surtout de la fermeté et de la persévérance. Prolonger la guerre sera tout gagner, et la ferme résolution de ne pas faire une paix, honteuse, fût-on même à Kazan, en procurera promptement peut-être une glorieuse.


Quel patriote russe, s’appelât-il Rostoptchine, aurait pu parler un plus énergique langage ? Ce que demande Richelieu, c’est la guerre à outrance, la guerre où l’on ne comptera pour rien, de sacrifier Moscou, la guerre qui ne se terminera ni au Niémen, ni au Dnieper, ni au Volga. En même temps, il appartient à ce groupe de politiques russes ou étrangers qui tendirent à idéaliser aux yeux mêmes d’Alexandre le rôle qu’il avait à jouer, l’amenèrent à se considérer comme le champion de l’indépendance des peuples et de la liberté du monde, qui tournèrent son amour même de la paix en une résolution obstinée d’assurer la paix pur une guerre implacable. Pourquoi faut-il que toute cette énergie ait été tournée contre la France, qui, — l’événement ne l’a que trop montré, — était solidaire de son empereur et ne pouvait que triompher ou périr avec lui ? Oc, on ne trouve pas chez Richelieu l’ombre d’un scrupule ou d’une émotion, quand c’est le sort de la France qui est en jeu. N’est-il pas en droit d’accuser en lui une certaine dureté de cœur et un oubli par trop complet de la terre natale ?

Richelieu, pour la troisième fois, renouvela sa requête pour servir à l’armée. ; il est vrai que ce serait à l’armée de Tormassof, et que celle-ci. ne semblait destinée qu’à agir contre l’Autriche, l’alliée temporaire et peu sûre de Napoléon ; mais qui ne prévoyait déjà que c’était dans des flots de sang français que Russes et Autrichiens scelleraient leur réconciliation ? C’est peut-être la bonne étoile : de Richelieu qui l’empêcha d’acquérir la gloire néfaste qu’il ambitionnait ; elle lui suscita, dans sa résidence même, un autre ennemi que Napoléon.

Richelieu, à la réception du manifeste impérial annonçant la guerre, avait convoqué les notables d’Odessa. Il leur avait adressé