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fonctions. Ces derniers conseils ont même le caractère de jurys d’honneur pour les actes qui leur sont déférés comme entachant la dignité de telle profession ou de telle fonction. L’institution de jurys spéciaux pour toutes les affaires d’honneur serait une extension légitime de cette juridiction disciplinaire, contre laquelle nul ne songe à protester au nom du droit commun.

La juridiction disciplinaire n’est appelée à connaître que des fautes directement commises par un avocat, un magistrat, un professeur, contre son honneur et l’honneur du corps auquel il appartient : les procès qui ont pour objet la dénonciation de ces mêmes fautes ou de fautes du même ordre, imputées à d’autres catégories de personnes, sont renvoyées devant les tribunaux ordinaires. On leur applique la règle qui veut que la compétence du tribunal soit réglée par la qualité de l’accusé. On oublie que, dans les questions de diffamation, il y a, en réalité, deux accusés, le diffamateur et le diffamé, et que la situation du second est, au fond, plus grave et plus digne d’égards que celle du premier. Nous commettons envers le plaignant, dans un procès en diffamation, une injustice manifeste, quand nous prenons pour juge de son honneur, quel que soit son rang ou sa situation dans la société et dans l’état, le plus humble tribunal ou un jury de douze citoyens quelconques, désignés par le sort. La constitution a établi, pour toute accusation portée contre le chef de l’état et les ministres, la plus haute des juridictions : celle du sénat : la loi de la presse soumet l’honneur du chef de l’état et des ministres, dans les matières mêmes où l’honneur du pays y est impliqué, à la juridiction du jury ordinaire. L’honneur des fonctionnaires de tout ordre relève également du jury ordinaire, sans souci des juridictions spéciales qu’ils ont le droit de revendiquer ou le devoir de subir, quand ils sont l’objet d’une accusation en forme. Des civils quelconques, dans un procès en diffamation, disposent de l’honneur militaire, pour lequel un conseil de militaires, diversement composé suivant le grade de l’inculpé, a toujours paru, en principe, la seule juridiction légitime.

Il y aurait certainement une injustice d’un autre ordre à ne tenir compte, dans un tel procès, que de la qualité de la personne dont l’honneur est en cause. Il faut aussi des garanties à celui qui est poursuivi comme diffamateur. Les intérêts d’un civil, accusé de diffamation envers un militaire, seraient insuffisamment protégés, s’il ne devait être jugé que par des militaires. Il faut des jurys mixtes où les deux ordres d’intérêts soient équitablement représentés. Les jurys d’honneur, qui se constituent officieusement dans certains cas, offrent des modèles dont la loi devrait s’inspirer.

Nous dépasserions le but que nous nous sommes proposé si nous entrions dans le détail de la composition de ces jurys d’honneur,