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centre, la couvant des yeux tout entière, il attend, sa mouche, c’est-à-dire l’occasion souhaitée.

Il est tenu d’être à la fois un homme de principes et un homme d’accommodemens. La politique, comme la religion, comme l’amour, a ses casuistes et ses jansénistes, et les jansénistes, qui sont d’ailleurs des oiseaux rares, finissent toujours mal. « Les reproches que les partis se jettent réciproquement à la tête, a dit M. de Holtzendorf, peuvent se résumer en ces deux formules : on est sans principes ou on est à cheval sur les principes. Le mieux est de préférer l’entre-deux. » Si l’homme d’état n’avait pas de principes, il ne pourrait avoir un parti ; ce serait un général sans armée. Au surplus, personne ne pourrait compter sur lui, et le plus grand homme du monde est hors d’état de rien faire s’il ne dispose de cette force considérable qu’on appelle le crédit ou la confiance. Voltaire disait que le vrai politique est celui qui joue selon les règles et qui gagne à la longue, que le mauvais politique est celui qui ne sait que filer la carte et qui tôt ou tard est reconnu. Il ajoutait que l’histoire nous fournit plus d’exemples d’illustres filous punis que d’illustres filous heureux.

Bien que le vrai politique représente une idée, il se prête facilement aux transactions, aux compromis. Il ne remplit son programme que s’il le peut ; il fait passer avant tout l’intérêt de l’état. Il préfère les inconséquences, quand elles ne sont pas trop criantes, à la raideur inflexible et à l’orgueilleuse logique qui causent des malheurs et quelquefois des désastres. Il ne dira jamais : « Périsse le monde plutôt que mes principes ! » Il s’inspire de la maxime : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » Mais toutes les fois qu’il sacrifie ses opinions à la raison d’état, il s’entend à sauver les apparences. Comme le remarque M. de Holtzendorf : « L’apparence est une grande réalité, elle est l’idole devant laquelle s’inclinent les foules. L’homme d’état doit s’en préoccuper avec autant de sollicitude qu’un médecin des fantômes qui hantent l’esprit surexcité de son malade. » L’homme d’état est un auteur dramatique qui ne se contente pas d’écrire sa pièce, il la monte, la met en scène. Souvent il brosse lui-même sa toile de fond, il se fait peintre en décors et il donne ses instructions à sa claque. C’est une partie de son office qu’il lui est interdit de négliger ; il ne saurait se passer d’un peu de charlatanerie, et il faut l’excuser si la pièce est bonne. L’imagination des foules est une puissance, et c’est par les petits moyens qu’on lui impose ou qu’on la séduit. Malheur à l’homme public qui ne se met pas en règle avec elle !

Mais quelles que soient la pénétration ou la fertilité de son génie, l’abondance de ses ressources, l’homme d’état n’arrive à rien sans une certaine trempe de la volonté ; mieux vaudrait pour lui. manquer de sagesse que de caractère. Comme nous tous, il a ses nerfs, il doit s’en faire obéir, garder ses secrets, les défendre contre la curiosité de ses