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soumission, si nous cessions d’agir, si nous rentrions sur la côte, et surtout si Mascara était évacué ou n’était occupé que par une faible garnison privée de toute communication avec l’armée. L’occupation permanente de Mascara par une force agissante me paraît donc, ainsi qu’à tous les gens qui réfléchissent, le point capital pour résoudre enfin cette difficile question. Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons espérer d’obtenir la soumission des tribus entre cette ligne et la mer. »

Pour mettre une grosse garnison dans Mascara, il y fallait réunir de gros approvisionnemens. Rentré le 3 juin à Mostaganem, le général Bugeaud en repartit le 7, avec un énorme convoi, qui, trois jours après, versait son chargement dans les magasins de la place. En descendant de cheval, le gouverneur fit appeler le capitaine de Martimprey, et lui dicta sur l’heure le tarif des prix à payer par l’intendance pour les grains et la paille que les troupes allaient récolter. « Vous voyez, dit-il au jeune officier, que je veux mettre vos idées à l’essai. Vous serez récompensé si elles portent fruit ; dans le cas contraire, vous aurez à vous repentir de vos erreurs. » Le capitaine n’eut pas à se repentir. Comme son grade ne lui donnait : pas assez d’autorité pour diriger en chef l’opération à laquelle toutes les troupes devaient prendre part, il fut mis sous les ordres du colonel Randon, du 2e chasseurs d’Afrique, et lui servit, dans cette campagne agricole, de chef d’état-major.

La plaine d’Eghris est immense et féconde ; du 13 au 24 juin, on y fit, la faucille en main, le fusil en bandoulière, les métives ; il y avait bien un peu de temps de perdu à surveiller les nombreux cavaliers qui de loin voyaient avec déplaisir moissonner leurs champs. En fin de compte, on introduisit dans Mascara 2,500 quintaux métriques, de paille, autant d’orge, et seulement 140 de froment. Ce n’était pas assez pour y laisser encore ce que le gouverneur appelait « une force agissante, » mais c’était un bon commencement.

Le 25 juin, la corps expéditionnaire revint par El-Bordj à Mostaganem ; il y arriva le 27, n’ayant eu, dans, la montagne, qu’une fusillade sans conséquence à l’arrière-garde. Le général Bugeaud avait laissé dans Mascara, trois bataillons sous les ordres du commandant Géry, qui fut bientôt après nommé lieutenant-colonel. Beaucoup d’officiers, La Moricière en tête, étaient d’avis qu’il eût mieux valu y installer d’ores et déjà une garnison beaucoup plus nombreuse, capable, à force d’audace et d’activité, de vivre aux dépens de l’ennemi, sans avoir besoin de ravitaillement ; C’était bien la pensée du gouverneur ; mais le moment ne lui paraissait pas encore venu, de tenter une expérience qui, pour être efficace et décisive, exigeait des garanties plus sérieuses.