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une autre saison, nous aurions bientôt réparé cela ; mais les deux mois de repos forcé qui vont suivre seconderont merveilleusement l’habile charlatanisme de l’émir. Il faudra quelques rudes leçons dans les premiers jours d’octobre pour ramener les choses au point où elles étaient dans les premiers jours de juillet. »

Abd-el-Kader avait alors un succès beaucoup moins contestable à faire valoir. La tribu la plus considérable des environs de Mostaganem, les Medjeher, ayant montré quelque disposition à s’accorder avec les Français, le colonel Tempoure, commandant de la place, était sorti, dans la nuit du 5 au 6 juillet, avec une colonne de 1,600 hommes, et s’était avancé jusqu’à Souk-el-Mitou, sur le Chélif, afin de donner confiance aux hésitans ; mais à peine au bivouac, au lieu des soumissions qu’il s’attendait à recevoir, ce furent des coups de fusil qui l’accueillirent. Les tribus voisines, surtout les Beni-Zerouel, avaient pris les armes ; Abd-el-Kader leur envoya un escadron de khielas ; soutenus et animés par ce renfort, ils attaquèrent avec plus de vivacité le colonel, qui eut fort à faire pour se maintenir.

Le soir venu, quelques cheiks des Medjeher arrivèrent en secret jusqu’à lui ; mais tout en lui laissant entrevoir pour l’avenir une soumission qui ne pouvait pas être immédiate, ils lui conseillèrent de décamper sans retard, parce qu’il aurait le lendemain sur les bras tous les Kabyles soulevés depuis Tenès jusqu’à Mostaganem. Le colonel suivit ce conseil et rentra de nuit dans la place. C’était un triomphe pour Abd-el-Kader ; il vint chez les Medjeher, irrité, implacable, fit tomber quelques têtes, et confisqua les biens de ceux qui échappèrent à ses chaouchs.

Le général Bugeaud avait fait répandre, dans la plaine d’Eghris, des proclamations qui engageaient les tribus des environs à se soumettre ; Abd-el-Kader lui fit faire cette réponse hautaine et qui, sur un certain point, avait la valeur d’une riposte : « De la part de tous les Hachem de l’est et de l’ouest, des habitans d’Eghris et des autres Arabes, leurs voisins, au chrétien Bugeaud. Tu nous demandes de nous soumettre à toi et de t’obéir : tu nous demandes l’impossible. Nous sommes la tête des Arabes ; notre religion est, aux yeux de Dieu, la plus élevée, la plus honorée et la plus noble des religions, et nous te jurons par Dieu que tu ne verras jamais aucun de nous, si ce n’est dans les combats. Dans l’égarement de votre raison, vous, chrétiens, vous voulez gouverner les Arabes ; mais les paroles de ceux qui vous ont fait concevoir ces espérances ne sont que des mensonges illusoires. Occupez-vous de mieux gouverner votre pays ; les habitans du nôtre n’ont à vous donner que des coups de fusil. Quand même vous demeureriez cent ans chez nous, toutes vos ruses ne nous feront aucun tort. Nous mettons tout notre