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armes au fond des ravins et se débarrassant même d’une partie de leurs vêtemens, pour être plus agiles, atteignirent les crêtes et disparurent au milieu de rochers, de ravines et d’anfractuosités inextricables. Ils laissèrent néanmoins, sur le terrain que nous pûmes atteindre, 80 cadavres, tous tués à coups de sabre et de baïonnette. »

Un dernier ravitaillement de Médéa, le 11 novembre, dont il n’y a rien de particulier à dire, mit un terme aux mouvemens de la division d’Alger pendant la campagne d’automne.


VII

C’était M. Guizot qui avait fait nommer le général Bugeaud au poste éminent qu’il occupait. Le gouverneur de l’Algérie en était reconnaissant au ministre des affaires étrangères, et quand ses relations avec le ministère de la guerre devenaient difficiles ou délicates, c’était à M. Guizot qu’il avait recours. « Vous me demandez, lui écrivait-il le 6 novembre 1841, en quoi vous pouvez m’aider ? le voici : le plus grand service que vous puissiez me rendre pour le moment, c’est de faire récompenser raisonnablement mon armée. Après avoir été prodigue envers elle sous le maréchal Valée, qui obtenait tout ce qu’il demandait pour les plus minimes circonstances, on est devenu extrêmement avare. L’armée d’Afrique, de laquelle j’ai exigé beaucoup cette année, compare les époques, et la comparaison ne m’est pas avantageuse, puisque j’exige beaucoup plus de fatigue et que j’obtiens beaucoup moins de faveurs. J’ai cru devoir ramener les bulletins à la vérité et à la modestie qu’ils doivent avoir chez une armée que, pour la rendre capable de faire de grandes choses, on ne doit pas exalter sur les petites. On a cru que nous avions peu fait, parce que nous n’avons pas rédigé de pompeux bulletins pour de petits combats ; mais on devrait savoir que nous ne pouvons pas avoir eu Afrique des batailles d’Austerlitz, et que le plus grand mérite dans cette guerre ne consiste pas à gagner des victoires, mais à supporter avec patience et fermeté les fatigues, les intempéries et les privations. Sous ce rapport, nous avons dépassé, je crois, tout ce qui a eu lieu jusqu’ici. La guerre a été poussée avec une activité inouïe, tout en soignant les troupes autant que les circonstances le permettaient, et elles le reconnaissent. Le soin que je prends d’elles et la vigueur de nos opérations me font un peu pardonner la rareté des récompenses ; mais, si la parcimonie continuait, il pourrait en être autrement. Il est de l’intérêt du pays que mon autorité morale ne soit pas affaiblie. Je comprends qu’il est délicat pour vous de toucher cette corde dans le