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quartier des hommes. Or le nombre des femmes arrêtées étant beaucoup plus faible que celui des hommes, il en résulte que les femmes sont au large, tandis que les hommes sont à l’étroit. Mais la symétrie est une si belle chose en soi-même, qu’on ne saurait demander à un architecte d’avoir cure de ces détails. Laissons donc de côté ces mesquins reproches adressés à l’œuvre de M. Duc, et jetons un coup d’œil sur l’aménagement intérieur du dépôt.

Le quartier des hommes comprend deux salles communes et environ quatre-vingts cellules. C’est pendant leur passage au greffe, et d’après une impression sommaire résultant de leur accoutrement, de leur tenue, et aussi de la nature de l’infraction relevée contre eux, qu’un triage est opéré entre les arrivans, par les soins d’un surveillant expérimenté, triage à la suite duquel les uns sont mis en cellule, les autres versés dans la salle des blouses, les autres dans celle des chapeaux. On se demandera peut-être d’où vient cette dénomination bizarre, mais les lecteurs assidus de Balzac n’en seront point étonnés. Ils se souviendront, en effet, que, dans l’histoire de Ferragus, chef des dévorans, Balzac établit doctement que tant vaut le chapeau tant vaut l’homme, et que c’est d’après l’état de son couvre-chef qu’il faut juger de sa condition sociale. Sans avoir probablement lu Balzac, les surveillans du dépôt ont confirmé la vérité de cette observation, en donnant ce nom familier à celle des deux salles communes où l’on enferme les individus dont la mine et l’aspect général révèlent une certaine éducation primitive. C’est l’aristocratie du dépôt, mais une aristocratie qui a subi bien des revers et des déchéances. Les habitans, peut-être faudrait-il dire les habitués de cette salle, ont un certain air de naufragés, mais de naufragés qui seraient honteux de leur sort. Ils fuient la curiosité, et on sent que les regards fixés sur eux leur sont pénibles. S’il était possible de les prendre chacun à part et de leur faire conter leur histoire, on reconnaîtrait que, dans les défaillances, dans les vilenies même de beaucoup d’entre eux, il faut faire la part de la malchance et de la misère. Mais le seul égard qu’on puisse leur témoigner est de ne pas les contempler trop longtemps comme des bêtes curieuses et de les laisser à leurs réflexions silencieuses et solitaires. Il est assez remarquable, en effet, qu’entre les hôtes de la salle des chapeaux la familiarité ne semble point régner. Ils se promènent rarement par groupes et n’échangent point de bruyans propos. On dirait que chacun d’entre eux a honte de se trouver avec les autres. C’est tout le contraire dans la salle des blouses. Ici nous sommes en pleine démocratie. Des hommes en blouse blanche ou bleue, en veste, « et surtout en guenilles, » sont lâchés en liberté au nombre de cent cinquante à deux cents, dans une salle basse qui s’éclaire assez mal par d’étroites fenêtres pratiquées dans