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toutes dans l’accoutrement qu’ils avaient au moment de leur arrestation, en habit de drap fin ou en haillons, en robe de soie ou d’indienne, les mains encore sanglantes ou les pieds encore crottés, divers d’aspect, de condition, de fortune, mais tous au fond victimes des mêmes faiblesses ou des mêmes passions, de ces faiblesses et de ces passions qui sont aussi les nôtres. Lorsque nous les retrouverons plus tard dispersés dans nos différens établissemens pénitentiaires, ils seront dissimulés sous un même costume, courbés sous un même joug, matés par une même discipline, et ils auront tous pris, à la longue, une sorte d’aspect uniforme. Ce ne seront plus que des détenus ; ici, ce sont encore des hommes, pris sur le vif et cueillis (suivant l’expression populaire si triviale, mais si juste) dans le plein épanouissement de leur floraison malsaine. C’est donc là qu’il serait le plus intéressant de les observer et de les étudier de prés. Mais le peu de temps qu’ils y séjournent n’en laisse guère le loisir. Le dépôt n’est, en effet, qu’un lieu de passage. Puisque nous avons tant fait que d’y entrer, voyons comment on en sort.

Pour sortir du dépôt, il y a trois portes : la grande instruction, la citation directe et le sans-suite. Les inculpés sont dits renvoyés à la grande instruction lorsque les magistrats qui siègent au petit parquet ont pensé qu’il y avait lieu de procéder à une instruction en règle. Ils sont alors envoyés, les hommes à Mazas, les femmes à Saint-Lazare, où nous les retrouverons. La citation directe, au contraire, envoie directement le prévenu, comme le terme l’indique, devant le tribunal de police correctionnelle, en vertu de la loi du 20 mai 1863 sur les flagrans délite. On a critiqué cette loi comme pouvant donner lieu à des erreurs sur les personnes, précisément à cause de la rapidité avec laquelle les magistrats procèdent, et comme offrant aux prévenus trop de facilité pour se faire condamner sous des noms supposés. Mais à cet inconvénient, le service d’anthropométrie, que j’ai décrit dans une récente étude, obviera de plus en plus efficacement, et la loi par elle-même, en abrogeant les lenteurs de la procédure et en désencombrant les prisons, a produit d’excellens effets. Si rapide que soit le passage des prévenus du dépôt au tribunal, ils traversent cependant une nouvelle étape, d’assez courte durée, il est vrai, mais pendant laquelle il est intéressant de les accompagner. Le nom officiel de ce troisième lieu de détention provisoire est le Dépôt judiciaire. Son nom véritable, par lequel il est désigné dans la langue courante, aussi bien des détenus que des magistrats, est la Souricière. C’est un singulier endroit que cette souricière. Elle est installée dans les substructions du bâtiment qui contient les chambres de police correctionnelle, et communique avec ces chambres par un escalier