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d’une autre nature, moins aventureux, plus casaniers, ayant généralement un domicile fixe, parfois une petite occupation, mais qui, plutôt que de se tuer de travail, aiment mieux s’adresser à la charité publique. On leur offrirait un salaire assuré en échange d’un travail régulier que peut-être ils le refuseraient. S’ils ont quelque infirmité à exhiber, cette infirmité devient pour eux un gagne-pain, et peut-être n’accepteraient-ils pas non plus volontiers d’en guérir. Parfois ils refusent l’asile que la préfecture de police peut leur offrir, à Villers-Cotterets ou à Nanterre. À la discipline nécessairement un peu sévère du dépôt de mendicité, ils préfèrent encore leur liberté misérable. Quant aux histoires de mendians volontaires dans la paillasse desquels on trouve, après leur mort, des sacs d’argent, il en faut décidément faire son deuil. Ayant lu récemment une histoire de ce genre dans un grave journal, j’ai voulu en avoir le cœur net : il n’y avait pas un mot de vrai. Plus fréquentes, mais rares encore, sont les simulations d’infirmités, bien que les mendians d’habitude fassent parfois montre en ce genre de beaucoup d’ingéniosité. Mais ce qui est malheureusement plus commun, c’est que l’infirmité trop réelle devient un gagne-pain pour la famille du malheureux infirme. Tel ne voudrait pas mettre dans un asile son père aveugle ou sa mère paralytique, parce qu’il en tire parti en le promenant dans les rues ou en l’exhibant sous une porte cochère. Ce sont surtout les enfans qui deviennent victimes de ces exploitations éhontées. Aucun mouvement n’est plus naturel que de donner un sou à un petit garçon ou à une petite fille qui vous demande l’aumône, au nom de sa mère malade ou de ses petits frères qui n’ont pas mangé. Mais il est fort à craindre que cet enfant ne soit un instrument dans les mains de ses propres parens, au grand détriment de sa moralité dans le présent et dans l’avenir. Peut-être même est-il victime d’un exploiteur, bien qu’une loi du 7 décembre 1874 punisse sévèrement cette coupable industrie. C’est entre ces espèces multiples que la préfecture de police est obligée de se reconnaître, traduisant les uns qui seront peut-être acquittés, relaxant les autres qui le seraient certainement, recommandant ceux-ci à telle ou telle société charitable qui acceptera d’en prendre soin, enfin prenant elle-même la charge de ceux-là dans les deux maisons dont elle dispose. L’une est le dépôt de mendicité de Villers-Cotterets, devenu un véritable hospice de vieillards ou d’incurables, dont les pensionnaires, une fois qu’ils y ont été admis, ne sortent plus guère que pour aller au cimetière. L’autre est celle de Nanterre, récemment ouverte en remplacement de l’immonde dépôt de Saint-Denis, dont la fermeture, demandée pour la première fois en 1842, a été prononcée il y a quelques mois.

J’ai visité, il y a peu de temps, cette maison de Nanterre, et je