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l’empereur Nicolas ; sa présence aurait pu, à ce moment, être mal interprétée. Il ne résista pas au désir de donner à sa sœur l’impératrice douairière, si cruellement éprouvée, un témoignage de sympathie. « Son voyage, disait lord Bloomfield, ne modifiera pas ses sentimens ; il tiendra aux Russes un langage dont ils n’auront pas lieu d’être satisfaits. « M. Balan, le directeur politique, disait de « on côté : « Le prince a de la fermeté et de la franchise, ce qu’il dira produira bon effet ; cela prouvera à beaucoup de gens que nous ne sommes pas, à Berlin, aussi Russes qu’ils voudraient le croire. »

Pour motiver l’inaction de son maître, le ministre s’appliquait à nous mettre le plus qu’il pouvait en méfiance contre l’Autriche. « Si vous comptez sur son concours armé, disait-il, vous courrez risque d’être joués ; elle a tout promis, tout signé, elle ne tiendra rien. » Il persistait à prétendre que l’empereur François-Joseph, en désaccord avec le comte de Buol, ne ferait la guerre dans aucune hypothèse et que son idée persévérante était de se réconcilier avec Pétersbourg. C’était aussi l’avis des représentans des cours secondaires ; ils prétendaient que les circulaires pressantes que le cabinet de Vienne adressait aux gouvernemens allemands n’avaient d’autre but que de nous jeter de la poudre aux yeux.


VIII. — L’AUTRICHE APRES LA RUPTURE DES CONFERENCES.

Les conférences s’étaient rompues sur la question de la limitation des forces navales de la Russie dans l’Euxin. Le prince Gortchakof avait déclaré qu’il ne transigerait pas sur un seul vaisseau, dût-on lui en accorder mille, et le comte de Buol, non-seulement dans la dernière séance de la conférence avait refusé de faire de la limitation un casus belli, mais il était allé, en résumant les délibérations, jusqu’à rendre hommage à la modération de la Russie et à attribuer l’insuccès des négociations moins au mauvais vouloir du plénipotentiaire russe qu’aux exigences de M. de Bourqueney et de lord Westmoreland.

Le traité du 2 décembre n’était pas déchiré, mais il n’était plus, en réalité, qu’une lettre morte. La situation du cabinet de Vienne devenait périlleuse ; il n’avait satisfait personne, il restait isolé, en butte aux récriminations. « L’Autriche, disait le prince Albert, est fâchée contre elle-même, contre Dieu, contre le monde entier, et elle a grandement raison de l’être, car, avec sa politique ambiguë, elle s’est mis tout le monde à dos[1]. » Napoléon III lui donnait de

  1. Lettre du prince Albert au baron de Stockmar.