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La fortune comblait l’empereur; elle lui donnait à l’heure même où le congrès, arrivé au terme de ses travaux, paraphait les protocoles du traité de paix, un berceau entouré d’une auréole de gloire. Confiant en son étoile, fier de présider l’Europe, il rêvait de grandes destinées pour ce fils qui, ne au son de joyeuses fanfares, semblait être un don manifeste de la Providence et qui devait, hélas ! être un jour la victime expiatoire de ses erreurs. « Les acclamations unanimes, disait-il devant les chambres, qui entourent son berceau, ne m’empêchent pas de réfléchir sur la destinée de ceux qui sont nés et dans le même lieu et dans des circonstances analogues. Si j’espère que son sort sera plus heureux, c’est que, confiant dans la Providence, je ne puis douter de sa protection en la voyant relever, par un concours de circonstances extraordinaires, tout ce qui lui avait plu d’abattre, il y a quarante ans, comme si elle avait voulu vieillir par le malheur une nouvelle dynastie sortie des rangs du peuple; mais elle dit aussi qu’il ne faut jamais abuser des faveurs de la fortune. »

La saine raison l’illuminait alors. Bientôt elle l’abandonna. Il se laissa griser par le succès et par l’encens qui de toutes parts s’élevait vers son trône. L’ivresse voile le regard, altère la claire perception de la réalité; elle fait oublier à ceux qui gouvernent les leçons du passé.

L’empereur ne s’apercevait pas que déjà sa suprématie, si rapidement conquise, les souvenirs attachés à son nom, étaient pour les cours qui le félicitaient un sujet de crainte et d’envie ; il ne soupçonnait pas que la Prusse et le Piémont, les deux puissances que couvait sa politique chimérique et dont il se constituait le parrain, seraient la cause et les instrumens de sa perte. Au lieu de les contenir et de s’en servir comme appoint, il donnait sans se prémunir, par d’inviolables garanties, le branle à leurs convoitises. Que n’a-t-il médité l’histoire de la maison de Savoie et de la maison de Hohenzollern, et surtout le précepte de Machiavel : « Qui aide son voisin travaille à sa propre perte. » Chi e cagione che uno diventi potente rovina.

Que n’a-t-il renoncé à des idées préconçues et résisté aux entraînemens d’une opinion faussée, qui, plus généreuse que réfléchie, ne songeait qu’à l’émancipation fallacieuse des peuples ! Mais, impatient de réaliser les rêves de sa jeunesse, imbu des idées napoléoniennes, il n’eut pas conscience de la situation que lui assurait en Europe la guerre d’Orient et de l’action que sa politique autoritaire lui donnait sur les gouvernemens. Plus cosmopolite de tendances que Français, il se refusa à comprendre le rôle qui lui incombait. Les vieilles alliances étaient rompues, et l’Europe profondément