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inconvéniens de cette promiscuité? En aucune façon. Un ancien directeur de l’administration pénitentiaire se servait sur ce point d’une expression très juste : « Nos détenus sont gardés ; ils ne sont pas surveillés. » Comment pourrait-il en être autrement? Dans beaucoup de prisons, le personnel de surveillance ne se compose que du gardien-chef et de sa femme, qui ne peuvent pas passer toute leur journée avec les détenus ou détenues. Dans un grand nombre d’autres, le nombre des gardiens ne s’élève pas au-delà de deux à trois. Le va-et-vient continuel qu’exige le service de la maison ne leur permet pas une surveillance constante. Aussi, pourvu que les détenus ne chantent pas, qu’ils ne se battent pas et qu’ils ne fassent pas de tumulte, ils sont en réalité laissés à leur bon plaisir, et ils peuvent se livrer à tous les charmes de la conversation. A plus forte raison en est-il ainsi dans les dortoirs où, pendant la saison d’hiver, ils passent un nombre d’heures de beaucoup supérieur à celles qu’on peut donner au sommeil. C’est à peine si, de temps à autre, la ronde d’un gardien, annoncée de loin par le bruit de ses clés, vient pour la forme s’assurer si tout est en ordre, si les détenus sont bien dans leurs lits et si aucun ne s’est évadé. En réalité, dans beaucoup de prisons et la nuit comme le jour, les détenus font tout ce qu’ils veulent.

Mais le travail qui, aux termes du code, fait partie de la peine, qui est par lui-même un instrument de moralisation, ou, si l’espérance paraît trop ambitieuse, un préservatif contre les dangers de la promiscuité, le travail est-il organisé partout d’une façon régulière et satisfaisante? Il suffit d’ouvrir le volume de la statistique des prisons pour répondre à cette question. Au 31 décembre 1884, sur 25,231 détenus, 10,087 étaient inoccupés. Pendant tout le cours de l’année, le nombre des journées de travail s’est élevé à 4,045,849 sur 8,620,844 journées de détention, ce qui semblerait indiquer qu’en moyenne chaque détenu a travaillé pas tout à fait un jour sur deux. Mais cette moyenne, comme au reste la plupart des moyennes, est artificielle et trompeuse. Dans certaines prisons, le travail est organisé de telle sorte que c’est le chômage qui est l’exception. Dans d’autres, c’est le contraire : le travail est l’exception, le chômage est la règle. Cela est vrai surtout pour les prisons d’arrondissement. Dans ces petites prisons, en effet, on ne conserve que les individus condamnés à trois mois de prison et au-dessous, et on centralise au chef-lieu de département les individus condamnés de trois mois à un an. Or, comme plus courte est la durée de l’emprisonnement, plus difficile est aussi l’organisation du travail pour l’entrepreneur, il en résulte que, dans les prisons d’arrondissement, les détenus sont pour la plupart inoccupés. Pour un certain nombre de condamnés, la peine de l’emprisonnement consiste