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À ce prix, elles n’achètent cependant pas la solitude, mais seulement le droit d’être groupées par trois ou quatre dans ces petits dortoirs dont j’ai parlé. Les femmes qui peuvent se payer cette médiocre faveur ne sont pas toujours les plus intéressantes, et souvent rien n’est moins pur que l’origine de leurs ressources. Aussi ne saurait-on imaginer de supplice plus cruel imposé à une femme qui n’a pas perdu tout sens de l’honnêteté et de la pudeur, qu’un séjour dans le quartier des prévenues et des accusées de Saint-Lazare. Rien d’étonnant que ce quartier, le plus mal installé de toute la prison, soit le théâtre des scènes les plus fréquentes et les plus tristes : larmes, colères, révoltes, qu’expliquent aussi l’état de surexcitation où sont souvent les prévenues. L’atelier des condamnées est un séjour de paix en comparaison, et il arrive parfois que telle femme, qui se faisait remarquer par son insubordination et sa violence au quartier des prévenues, devient douce et soumise dès qu’elle a passé au quartier des condamnées. Aucune catégorie de détenues n’aurait droit à plus d’égards que les femmes prévenues, innocentes ou même coupables. Aucune n’est traitée avec un tel mépris de toutes les lois de l’hygiène physique et morale.

Quant à la prison de Mazas, il faut convenir que c’est une très belle prison. Il est fort heureux qu’elle ait été construite il y a quelque quarante ans, car, d’après ce que nous venons de voir pour les femmes, il ne faut pas compter que la loi de J875 eût reçu, en ce qui concerne les hommes, la moindre exécution dans le département de la Seine. Les longues et hautes galeries de Mazas, froides, silencieuses, sonores, ressemblent un peu à des nefs d’église. Cette ressemblance avait frappé, je crois, un pauvre diable à la tête un peu dérangée, que j’entendis un jour, pendant qu’on procédait aux formalités de son écrou, entonner d’une voix assez belle et juste la strophe bien connue du Dies iræ :


Lacrymosa dies illa
Quaa resurget ex favilla
Judicandus homo reus.


C’était un ancien chantre d’église, devenu choriste de l’Opéra, auquel l’aspect austère des galeries de Mazas avait inspiré cette réminiscence de son ancien métier. Tout ce qu’il y gagna fut d’être enfermé dans une cellule spéciale, entièrement dépourvue de toute espèce de meubles, avec une fenêtre dormante, où l’on enferme les prévenus dont l’état mental inspire quelques inquiétudes. Le grand ennemi contre lequel il faut, en effet, lutter sans cesse à Mazas, c’est le suicide, et le suicide accompli presque toujours dans les premiers jours, parfois dans les premières heures de la détention, sans que la