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commission du budget, que le détenu le fasse appeler par un gardien, qu’on dérangera de son service pour aller le chercher tout exprès. Mais, bien que rien ne soit encore changé dans la législation, la situation de l’aumônier n’en est pas moins devenue difficile dans les prisons de la Seine. Il est passé à l’état de personnage suspect et compromettant. Par prudence, plutôt, je crois, que par hostilité, certains directeurs refusent systématiquement de le connaître. Ils ne veulent pas savoir qu’il existe. En cela, du reste, ils ne font que s’inspirer des instructions qui leur ont été récemment données. C’est ainsi qu’il leur est prescrit de bien répéter aux détenus, lors de leur entrée, qu’ils sont libres de suivre ou non les exercices religieux, et qu’ils n’y seront conduits que s’ils en font la demande expresse. Chose singulière, cependant, le nombre de ceux qui demandent à être dispensés de l’assistance aux offices est infiniment petit ! Simple désir, dira-t-on, de varier par quelque exercice un peu différent la monotonie de leur journée. Cela est possible. Mais peut-être bien aussi un certain nombre d’entre eux éprouvent-ils un attrait confus pour une religion dont ils ont singulièrement oublié, depuis leur enfance, la morale et les dogmes, mais qui, — de cela du moins ils se souviennent, — a pour les plus grands coupables des paroles d’espérance et des promesses de pardon. Toutefois, la tâche de l’aumônier d’une prison serait bien vite remplie si elle devait se borner à la célébration des offices. C’est à cela qu’elle est forcément restreinte dans une prison commune. Il ne peut, en effet, se montrer sur le préau sans risquer d’être tourné en dérision ; et quel est, d’ailleurs, le détenu qui oserait causer avec lui sous les regards railleurs de ses camarades ? Quelques visites furtives à la sacristie, quelques relations par lettres, c’est tout ce qu’il peut espérer. Il n’en est pas de même dans une maison cellulaire, comme le quartier de la Santé. Là, l’aumônier a un rôle actif à remplir. Il est peu de détenus assez anticléricaux pour ne pas voir avec satisfaction s’ouvrir la porte de leur cellule et faire bon accueil à un visiteur inattendu, fût-il en robe noire. Mais ce que l’aumônier doit se proposer, ce n’est pas tout d’abord d’opérer une conversion (oserai-je dire que les conversions de prisonniers sont ou plutôt étaient autrefois assez légitimement suspectes, car aujourd’hui je ne vois plus trop ce qu’elles peuvent leur rapporter ?), c’est de devenir l’ami du détenu. S’il sait s’y prendre, il cherchera d’abord à gagner sa confiance ; il écoutera son histoire, et le détenu la lui racontera d’autant plus volontiers que tant d’intérêt ne lui aura pas souvent été témoigné, il lui servira d’intermédiaire avec le dehors, non pas en se prêtant à des relations illicites et qu’on a raison de réprimer, mais en cherchant à réveiller en sa faveur la sollicitude de ceux qui l’ont