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surtout à développer en eux le goût du raisonnement et de la discussion, et, comme le disent les Mémoires, on les mettait en garde contre l’obscurantisme. La Thuringe était l’asile ou la forteresse des doctrines rationalistes. De bonne heure, ces jeunes gens avaient acquis la conviction que le christianisme doit se mettre en règle, entrer en arrangement avec les idées modernes. Le duc remarque à ce sujet que, si le biographe le plus accrédité du prince-consort s’est cru tenu de rendre hommage « à sa piété naturelle, » il ne l’a fait que par égard, par complaisance pour le public anglais. Dès sa première jeunesse, le prince Albert n’avait qu’un médiocre respect pour les dogmes, sa raison lui semblait plus respectable.

En enseignant l’histoire aux deux frères, on n’avait garde de leur prêcher le culte du bon vieux temps, et ils demeurèrent toujours étrangers à la politique des regrets, aux dévotions gothiques et au romantisme des souvenirs. On les fît voyager, et, chemin faisant, ils fréquentèrent des sociétés assez mêlées; ils ne craignaient pas de lier commerce avec des réfugiés mal pensans, avec des gens compromis. On les envoya à l’université ; ils y vécurent en vrais étudians, et quelquefois ils jugeaient leurs maîtres. « Fils d’une vieille race, nous nous sentions plus libéraux dans l’âme que des professeurs sans ancêtres qui tonnaient contre le rationalisme... Dans ses leçons sur le droit public, Perthes disserta longuement sur la royauté par la grâce de Dieu; nous l’interrompîmes par nos murmures et nos étonnemens, et quand il affirma la provenance divine de certaines institutions, nous lui déclarâmes à son grand chagrin que ce chapitre resterait en blanc dans notre cahier. »

Un vrai Cobourg est un prince d’esprit moderne, d’humeur libérale; mais son libéralisme est un amour sans ferveur, sans enthousiasme, qui ressemble beaucoup à une gracieuse indifférence. Opportuniste raffiné et souvent ironique, il est convaincu que certaines formes n’ont pas l’importance que le vulgaire y attache, que rien n’est plus inutile que les regrets ni plus dangereux que les superstitions, que la souplesse du jugement, l’élasticité de l’âme, sont des dons souverains, qu’un prince doit prendre les choses telles qu’elles sont et le vent comme il souffle, se prêter aux circonstances, que le caractère des races supérieures est de s’adapter à tous les milieux.

Il en coûta peu au roi Léopold d’accepter une royauté révolutionnaire. On daubait sur lui dans plus d’une cour allemande, on s’indignait qu’un prince de vieille souche eût consenti à mettre sur sa tête une couronne de pavés. Il en avait rejailli quelque déshonneur sur sa famille. Le prince Edouard d’Altenbourg déclarait à haute voix qu’il fallait rompre tout commerce de visites avec la cour de Cobourg, qu’on était sûr d’y entendre parler de la Belgique et de son roi, que d’augustes