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départemens, il y avait ainsi des Vendées intermittentes et disséminées. Dans tous les départemens catholiques, il y avait une Vendée latente. En cet état d’exaspération, il est probable que, si les élections eussent été libres, la moitié de la France eût voté pour des hommes de l’ancien régime, catholiques, royalistes, ou tout au moins monarchiens de 1790. — En face de ces élus, imaginez, dans la même salle et en nombre à peu près égal, les élus de l’autre parti, les seuls qu’il pût choisir, ses notables, je veux dire les survivans des assemblées précédentes, probablement des constitutionnels de l’an IV et de l’an V, des conventionnels de la Plaine et des feuillans de 1792, depuis Lafayette et Dumolard jusqu’à Daunou, Thibaudeau et Grégoire, parmi eux des girondins et quelques montagnards, entre autres Barère[1], tous entichés de la théorie, comme leurs adversaires de la tradition. Pour qui connaît les deux groupes, voilà face à face deux dogmes ennemis, deux systèmes d’opinions et de passions irréconciliables, deux façons contradictoires de concevoir la souveraineté, le droit, la société, l’état, la propriété, la religion, l’église, l’ancien régime, la révolution, le présent et le passé : la guerre civile s’est transportée de la nation dans le parlement. Certainement, la droite voudra que le premier consul soit un Monck, ce qui le conduira à devenir un Cromwell ; car tout son pouvoir dépend de son crédit sur l’armée, qui est alors la force souveraine. Or, à cette date, l’armée est encore républicaine, sinon de cœur, du moins de cervelle, imbue des préjugés jacobins, attachée aux intérêts révolutionnaires, par suite aveuglément hostile aux aristocrates, aux rois, aux prêtres[2]. A la première menace

  1. Barère, représentant des Hautes-Pyrénées, avait conservé beaucoup de crédit dans ce département reculé, surtout dans le district d’Argelès, parmi les populations ignorantes de la montagne. En 1805, les électeurs le présentèrent comme candidat pour une place au corps législatif et au sénat; en 1815, ils le nommèrent député.
  2. Mémoires (inédits), par M. X..., I, 366. Au moment du concordat, l’aversion « contre le régime des calotins » était encore très vive dans l’armée : il y eut des conciliabules hostiles. « Beaucoup d’officiers supérieurs y entrèrent, et même quelques généraux importans. Moreau n’y fut pas étranger, bien qu’il n’y ait pas assisté. Dans l’un de ces conciliabules, les choses furent portées si loin que l’assassinat du premier consul fut résolu. Un certain Donnadieu, qui n’avait alors qu’un grade inférieur, s’offrit pour porter le coup. Le général Oudinot, qui était présent, avertit Davoust, et Donnadieu, mis au Temple, fit des révélations. Des mesures furent prises à l’instant pour disperser les conjurés, qu’on envoya tous plus ou moins loin; il y en eut quelques-uns d’arrêtés, d’autres exilés, parmi eux le général Monnier, qui avait commandé à Marengo l’une des brigades de Desaix. Le général Lecourbe était aussi de la conspiration. »