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Leurs tuiles rouges et leurs murs blanchis à la chaux ont un air de propreté auquel ne répond pas toujours l’aspect enfumé de l’intérieur.

Mais si la culture est fort répandue, elle est généralement médiocre. Un paysan possède quatre hectares : il en cultive un pour les besoins de sa famille et laisse les trois autres en friche. Il est fidèle à la grossière charrue de ses pères, hostile aux engins nouveaux. On n’a pas pu l’amener encore à faucher son blé avec une faux : il le coupe à la serpe et perd la moitié de la paille. Un Français a tenté d’introduire une machine à battre. Il la promenait de village en village, offrant de battre gratis, à titre d’essai. Les paysans n’en ont pas voulu : ils préfèrent employer les pieds de leurs chevaux, comme en Turquie. On me raconte le propos suivant d’un laboureur que quelqu’un trouva couché parmi les épis mûrs et intacts, longtemps après l’époque de la moisson : « Eh bien! lui dit-on, tu ne coupes pas ton blé? — A quoi bon? j’ai déjà ce qu’il me faut pour cette année. » On cultive mieux le maïs en Serbie, parce que cette culture se fait à la main. Il n’en est pas moins vrai qu’un pays dont l’ensemble offre une belle image de richesse et de prospérité prépare de continuelles déceptions dans le détail. Un royaume dont la superficie dépasse d’un tiers celle de la Belgique, avec un sol presque aussi fertile, nourrit à peine 2 millions d’habitans, c’est-à-dire le tiers de la population belge. En face de ces chiffres, je ne peux entendre sans impatience les tirades de certains philanthropes en l’honneur de la vie patriarcale. A-t-on assez célébré ces fameuses communautés de famille, ces zadrugas, avec leur starost, qui répartit les produits du travail? Quelle occasion de flétrir l’individualisme et la terrible concurrence des sociétés modernes! Cependant cette loi de concurrence peut seule affranchir le paysan serbe de la routine et faire disparaître la rouille d’indolence qui ternit ses meilleures qualités. Dans les vieilles communautés slaves, il n’y a point d’aiguillon pour le travail personnel, partant point de progrès. De plus, il règne dans ces maisons vénérables une promiscuité qui me paraît le contraire de l’hygiène et des bonnes mœurs. On ne construit pas toujours un nouveau logis pour chaque nouveau ménage. J’ai vu le plus souvent une salle commune, avec une double rangée de lits de camp, sur lesquels s’entassait la nuit toute la famille : le grand-père, les fils, les brus, les gendres, les cousins germains, et jusqu’aux petits-enfans. Ce mélange me paraît plus patriarcal qu’édifiant. Du reste, la question n’est pas de savoir si l’âge d’or refleurit à l’ombre de quelques platanes séculaires, mais si un peuple jeune, environné de voisins ambitieux, peut s’attarder dans