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perte de Mascara peut-être ; Tlemcen lui importait en effet davantage, à cause des relations qu’elle lui permettait d’entretenir d’une manière suivie avec le Maroc. Trop intelligent pour concevoir l’espérance d’y rentrer par la force, il avait pour dessein de faire le vide autour d’elle et de la bloquer, comme autrefois, en 1836, mais de plus loin. Il ne devait pas ignorer cependant qu’au lieu des cinq cents braves qui gardaient jadis le Mechouar avec le capitaine Cavaignac, le général Bedeau en avait six fois davantage, et, s’il l’ignorait, le général n’allait pas tarder à le lui faire savoir.

C’était des montagnes des Trara, sur la rive gauche de la Tafna, que l’émir adressait ses injonctions menaçantes aux Ouled-Ria et aux Ghossel, les tribus les plus puissantes au nord et à l’ouest de Tlemcen. Le général Bedeau avait avec lui Moustafa-ben-Ismaïl et 500 de ses Douair, Mohammed-ben-Abdallah et son maghzen ; à la tète de cette cavalerie que soutenaient 2,500 hommes d’infanterie française et trois obusiers de montagne, le général Bedeau passa la Tafna le 7 mars, traversa le col de Bab-el-Taza, toucha le 8 à Nedroma, força, rien que par son approche, Abd-el-Kader à évacuer le pays des Trara et, après avoir châtié les Kabyles du Kef, rentra le 14 à Tlemcen. Il en sortit de nouveau le 21, sur l’avis que l’émir, avec un fort contingent des Beni-Snassen du Maroc, s’était aventuré en-deçà de la Tafna; en effet, il l’atteignit le lendemain près de la Sikak, et le battit sur un terrain qui, six années auparavant, ne lui avait déjà pas été favorable.

Pendant le mois d’avril, Abd-el-Kader subit encore deux échecs graves, le 11 et le 29. Le dernier fut décisif. Ce jour-là, il occupait avec ses réguliers, 400 chevaux arabes et 1,500 Kabyles, le col de Bab-el-Taza. Attaqué d’un côté par les zouaves et le 8e bataillon de chasseurs, de l’autre par le 10e bataillon et le 26e de ligne, il fut déposté, refoulé, mis en déroute, en laissant 200 morts sur le terrain et 70 prisonniers entre les mains du vainqueur. Dès lors, ses partisans découragés l’abandonnèrent, et comme il vit bien qu’il n’avait plus rien à espérer dans ces parages, il s’en éloigna définitivement, en essayant de rejoindre par le sud ses fidèles Hachem aux environs de Mascara.

Débarrassé de son opiniâtre adversaire, le général Bedeau n’eut guère plus à s’occuper que de relever Tlemcen de ses ruines et surtout de pacifier le pays, qui venait d’être, deux mois durant, agité par la guerre. Il y réussit par un heureux mélange de fermeté, de modération et de sagesse, avec un succès qui mérita l’éloge et lui assura pour toujours l’estime affectueuse du général Bugeaud.