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l’est de son domaine privé. — Marié de plus et, dès les premiers Capétiens, avec l’église, sacré à Reims, oint de Dieu comme un David[1], non-seulement on le croyait autorisé d’en haut comme les autres monarques, mais, depuis Louis le Gros et surtout depuis saint Louis, il apparaissait comme le délégué d’en haut, investi d’un sacerdoce laïque, revêtu d’un caractère moral, ministre de l’éternelle justice, redresseur des torts, protecteur des faibles, bienfaiteur des petits, bref comme « le roi très chrétien. » — Enfin, dès le XIIIe siècle, la découverte récente et l’étude assidue des codes de Justinien avaient montré en lui le successeur des Césars de Rome et des empereurs de Constantinople. Selon ces codes, le peuple en corps avait transféré ses droits au prince ; or, dans les cités antiques, la communauté avait tous les droits, et l’individu n’en avait aucun[2] ; ainsi, par ce transfert, tous les droits, publics ou privés, passaient aux mains du prince ; désormais, il en disposait à son gré, sans restriction ni contrôle. Il était au-dessus de la loi, puisqu’il la faisait[3] : ses pouvoirs étaient illimités, et son arbitraire, absolu.

Sur ce triple canevas, à partir de Philippe le Bel, les légistes, comme des araignées d’état, avaient ourdi leur toile, et la concordance instinctive de leurs efforts héréditaires avait suspendu tous les fils de la trame à l’omnipotence du roi. — Étant juris-consultes, c’est-à-dire logiciens, ils avaient besoin de déduire, et toujours leurs mains remontaient d’elles-mêmes vers le principe unique et rigide auquel ils pouvaient accrocher leurs raisonnemens. — Comme avocats et conseillers de la couronne, ils épousaient la cause de leur client, et, par zèle professionnel, ils étiraient ou tordaient à son profit les précédens et les textes. — En qualité d’administrateurs et de juges, la grandeur de leur maître faisait leur grandeur propre, et l’intérêt personnel leur conseillait d’élargir

  1. Luchaire, Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, I, 28, 46. (Textes de Henri Ier, Philippe Ier, Louis VI et Louis VII.) « Un ministère divin. » — (Les rois sont des) « serviteurs du royaume de Dieu. » — « Ceindre le glaive ecclésiastique pour la punition des méchans. » — « Les rois et les prêtres sont les seuls qui, par l’institution ecclésiastique, soient consacrés par l’onction des saintes huiles. »
  2. La Révolution, III, 120.
  3. Janssen, l’Allemagne à la fin du moyen âge (traduction française), I, 457. (Sur l’introduction du droit romain en Allemagne.) — Déclaration des légistes à la diète de Roncaglia : « Quod principi placuit, legis habet vigorem. » — Édit de Frédéric Ier, 1165: « Vestigia prædecessorum suorum, divorum imperatorum, magni Constantini seilicet et Justiniani et Valentini,.. sacras eorum leges,.. divina oracula… Quodcumque imperator constituerit, vel cognoscens decreverit, vel edicto præceperit, legem esse constat. » — Frédéric II : « Princeps legibus solutus est. » — Louis de Bavière : « Nos qui sumus supra jus. »