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une prérogative à laquelle, par délégation, ils avaient part. — C’est pourquoi, quatre siècles durant, ils avaient tissé le filet « des droits régaliens[1], » le grand rets sous lequel, depuis Louis XIV, toutes les vies se trouvaient prises.

Néanmoins, dans ce réseau si étroitement serré, ils avaient laissé des lacunes, ou du moins des parties faibles. — Et, d’abord, des trois principes qui, sous leur main, avaient déroulé leurs conséquences, il y en avait deux qui avaient empêché le troisième de dévider son écheveau jusqu’au bout : par cela seul que le roi avait été jadis comte de Paris et abbé de Saint-Denis, il ne pouvait devenir un Auguste véritable, un Dioclétien authentique : ses deux titres français limitaient son titre romain. Sans parler des lois dites fondamentales, qui lui imposaient d’avance son héritier, toute la lignée de ses héritiers successifs, le tuteur ou la tutrice de son héritier mineur, et qui, s’il dérogeait à la règle immémoriale, cassaient son testament comme celui d’un simple particulier, sa qualité de suzerain et sa qualité de très chrétien étaient pour lui une double entrave. Comme général héréditaire de l’armée féodale, il devait de la considération et des égards aux officiers héréditaires de la même armée, à ses anciens pairs et compagnons d’armes, c’est à-dire aux nobles. Comme évêque extérieur, il devait à l’église, non-seulement son orthodoxie spirituelle, mais encore ses ménagemens temporels, son zèle actif et l’assistance de son bras séculier. De là, dans le droit appliqué, tant de privilèges pour les nobles et pour l’église, tant d’immunités et même de libertés, tant de restes de l’antique indépendance locale et même de l’antique souveraineté locale

  1. Guyot, ibid., article Régales : : « Les grandes régales, majora regalia, sont celles qui appartiennent au roi, jure singulari et proprio, et qui sont incommunicables à autrui, attendu qu’elles ne peuvent être séparées du sceptre, étant des attributs de la souveraineté, comme... de faire des lois, de les interpréter ou changer, de connaître en dernier ressort de tous les jugemens de tous les magistrats, de créer des offices, faire la guerre ou la paix,.. faire battre monnaie, en hausser ou baisser le titre ou la valeur, mettre des impositions sur les sujets, les ôter ou en exempter certaines personnes, donner des grâces ou abolitions pour crimes,.. faire des nobles, ériger des ordres de chevalerie et autres titres d’honneur, légitimer des bâtards,.. fonder des universités,.. assembler les états-généraux ou provinciaux, etc. » — Bossuet, Politique tirée de l’Écriture sainte : « Tout l’état est dans la personne du prince; en lui est la puissance, en lui est la volonté de tout le peuple. » — Louis XIV, Œuvres, I, 59 (à son fils): « Vous devez être persuadé que les rois ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par les gens d’église que par les séculiers, pour en user en tout temps comme de sages économes, c’est-à-dire, suivant le besoin général de leur état. » — Sorel, l’Europe et la Révolution française, I, 231 (Lettre de l’intendant Foucault) : « C’est une illusion qui ne peut venir que d’une préoccupation aveugle, que de vouloir distinguer les obligations de la conscience d’avec obéissance qui est due au roi. »