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temps ou les années voisines, des dialogues philosophiques, des traités de grammaire, des lettres ; il y parle souvent de lui, de ses hésitations, de ses luttes, de ses progrès, et nous le voyons s’avancer pas à pas vers cette perfection de conduite et cette sûreté de doctrine à laquelle il aspire. Ce sont les mêmes événemens qu’il nous raconte dans ses Confessions, mais présentés un peu autrement ; non pas que les faits diffèrent, c’est la couleur générale qui est changée, et il faut bien reconnaître que ces divers récits, quoique au fond semblables, ne laissent pas la même impression.

Est-ce à dire que, dans ses Confessions, saint Augustin ait volontairement altéré la vérité ? Tout le monde, au contraire, est d’avis que la sincérité en est le plus grand mérite. C’est une qualité rare dans les ouvrages de ce genre, et je n’en connais aucun qui la possède au même degré. On n’y sent nulle part cette impertinente vanité qui nous fait trouver du charme à mettre tout le monde dans la confidence de nos erreurs même et de nos fautes ; il n’a point écrit son livre, comme c’est l’usage, pour le plaisir de se mettre en scène et de parler de soi ; sa pensée était plus sérieuse et plus haute. Il s’est souvenu que, dans l’église primitive, les gens qui avaient commis un péché grave venaient le confesser en public et en demandaient pardon à Dieu devant leurs frères, et il a voulu faire comme eux ; il imite ces pieux pénitens qui mêlaient à l’aveu de leurs fautes des gémissemens et des prières. Comme eux, il s’adresse tout le temps à Dieu avec des transports et des effusions qui finissent par nous paraître monotones : il lui rappelle toutes les erreurs de sa jeunesse, non pas pour les lui faire connaître : — qui les sait mieux que lui ? — mais pour apprendre au pécheur par son exemple, et en lui montrant de quel abîme il a lui-même été tiré, qu’on ne doit jamais perdre courage et dire : « Je ne peux pas. » Il fallait donc que la confession, pour être efficace, fût complète, avec faux-fuyans, sans réticences : la moindre tentative pour dissimuler ou pallier une faute serait un crime, puisqu’elle ôterait quelque mérite à la bonté de Dieu ; ce serait de plus un crime inutile, car Dieu, qui voit tout, aurait bien vite dévoilé et confondu le mensonge.

Ainsi saint Augustin a voulu être vrai, et, pour l’essentiel, il l’a été ; il nous fait l’histoire de sa jeunesse comme elle lui apparaissait au moment où il a écrit ses Confessions ; mais il ne faut pas oublier qu’il les a rédigées onze ans après son baptême. Il lui est alors arrivé ce qui nous arrive toujours quand nous jetons un regard en arrière : le présent, quoi qu’on fasse, prête ses couleurs au passé, et, après un certain intervalle, nous n’apercevons notre vie antérieure qu’à travers nos opinions et nus impressions du moment. Quand Saint-Simon écrivit la dernière rédaction de ses Mémoires,