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nous parlions, dit-il, et que nous étions tout ardeur et tout désir pour cette vie céleste, nos âmes, comme d’un bond, y touchèrent un moment. » Je me figure qu’il avait déjà éprouvé quelquefois dans son enfance des impressions semblables et « touché, d’un bond de son âme, à la vie céleste, » pendant que sa mère lui parlait du Christ. Elle devait trouver, dans ces occasions, de ces mots et de ces images dont le cœur se souvient toujours. il nous dit qu’avant été pris alors d’un mal subit qui lui fit craindre de mourir. il demanda avec instance à être baptisé ; mais comme on ne le trouvait pas au si malade qu’il croyait l’être, et que c’était l’usage de différer le baptême jusqu’à un âge plus avancé, ou aima mieux attendre. L’enfant guérit ; puis vinrent les années de l’adolescence, avec leurs entraînemens auxquels une nature fougueuse comme la sienne ne pouvait guère résister : l’ardeur des passions, la curiosité de l’esprit. le jetèrent dans d’autres chemins, mais il n’oublia jamais ces premières émotions religieuses : elles subsistèrent toujours au plus profond de lui-même, et nous les verrons se réveiller dans toutes les circonstances graves de sa vie.

Si Monique voulait qu’il devint un chrétien parfait, son père tenait surtout à en faire un homme instruit et bien élevé. Il s’épuisa pour lui donner l’éducation que recevaient les classes lettrées de l’empire. Ce petit bourgeois d’une ville obscure de Numidie avait confiance en son entant ; comme le père d’Horace, qui était un ancien esclave, comme le père de Virgile, qui n’était qu’un paysan, il lui fit apprendre tout ce qu’on enseignait aux fils des maisons les plus riches et les plus anciennes. Par malheur, ses ressources étaient très médiocres. Tant qu’on se contenta d’envoyer le jeune homme à l’école de Thagaste, sa ville natale, où même à Madaura, dans les environs, la fortune paternelle y suffit. Mais lorsqu’il fut question de le faire partir pour Carthage, il fallut avoir recours à la bourse d’un ami. il y avait alors, dans toutes les villes de l’empire, grandes ou petites, quelques importans personnages, qu’on s’empressait d’élever à toutes les dignités de l’endroit, dont on faisait des décurions, des duumvirs. des flamines, et qui, en échange de ces honneurs, étaient tenus de donner des jeux, de célébrer des fêtes, de bâtir des édifices, et surtout d’être généreux envers tout le monde. C’était Romanianus qui jouait ce rôle à Thagaste. Saint Augustin nous dit qu’on ne parlait que de lui dans la petite ville : il venait, à propos sans doute de quelque dignité dont il était revêtu, d’y donner de spectacles extraordinaires, notamment un combat d’ours. Aussi ses concitoyens, dans leur reconnaissance, avaient-ils placé sur sa porte une belle inscription qui devait raconter aux races futures que la municipalité de Thagaste, par une délibération solennelle,